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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

si rationnelle ? Cela est caché à notre esprit… Il nous est permis d’observer les flux de la mer, mais la faculté d’en comprendre le reflux ne nous a pas été donnée. »

Que ce passage retienne un instant notre attention.

Nous y entendons, d’abord, un langage nouveau ; le nom de ledo y est donné à la marée de morte-eau, celui de malina à la marée de vive-eau.

Dans le livre Sur les médicaments de Marcellus Empiricus, qui vécut en Gaule sous Théodose le Grand (379-395), on rencontre déjà les mots liduna[1] et malina[2] ; mais ils y signifient seulement que la Lune est en quadrature ou en syzygie, sans faire aucune allusion à la marée.

Où l’hibernais Augustin a-t-il pris les renseignements qu’il nous donne sur les périodes de la marée ? Peut-être dans l’Histoire naturelle de Pline, car nous verrons, peu de temps après la rédaction de son traité, cette Histoire naturelle aux mains de Bède. Mais son exposition donne des précisions que Pline ne donnait pas. Et, d’autre part, s’il a lu Pline, il l’a mal lu ; il déclare, en effet[3], que les vives-eaux, les malinæ, ont quatre maxima, aux équinoxes et aux solstices ; or Pline lui eût enseigné que si les vives-eaux des équinoxes sont plus fortes que les autres, les vives-eaux des solstices sont, au contraire, plus faibles.

L’ouvrage d’Augustin l’Hibernais fut-il rapidement attribué à Saint Augustin ? Nous l’ignorons. Mais nous pouvons affirmer qu’il ne tarda pas à prendre vogue.

On a bien souvent attribué à Saint Isidore un écrit intitulé De ordine creaturarum liber. Si pauvre est la Science de ce petit traité qu’on le pourrait croire de l’Évêque de Séville s’il ne portait, en un de ses chapitres, la marque évidente que l’auteur a lu Augustin l’Hibernais.

Dans sa description de la création des choses matérielles, l’auteur de ce traité accorde le premier rang aux eaux supra-célestes[4]. La Sainte Écriture nous affirme, en effet, « qu’il y a des eaux au-dessus du firmament ; ces eaux, donc, par la place qu’elles

  1. Marcelli Empirici De medicamentis liber, Edidit Georgius Helmreich, Lipsiæ, MDCCCLXXXIX. Cap. XV, p. 142 ; cap. XVI, p. 168 ; cap. XXIII, p. 243 ; cap. XXV, pp. 247-248.
  2. Marcelli Empirici Op. laud., cap. XXXVI ; éd. cit., p. 375.
  3. Le texte donné par la Patrologie de Migne est un peu obscur en cet endroit ; mais nous verrons que le Pseudo-Isiaore et le vénérable Bède l’ont interprété comme nous le faisons.
  4. S. Isidori Hispalensis episcopi De ordine creaturarum liber, cap. III [S. Isidori Hispalensis episcopi Opera, acurrante Migne, t. V (Patrologiæ latinæ t. LXXXIII), coll. 920-921].