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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

Mais tandis que les astronomes de profession prêtaient à peine attention au débat dont les fondements de leur art étaient l’objet, ceux qui philosophaient sur la Science de la nature, ceux qu’on nommait les naturalistes (naturales) se montraient fort anxieux de la contradiction qui mettait aux prises l’Astronomie de Ptolémée et la Physique d’Aristote. Ge débat entre la théorie mathématique, forte des confirmations de l’expérience, et la doctrine physique, déduite de principes métaphysiques qu’on jugeait certains, ce débat, disons-nous, agitait également, pendant la seconde moitié du xiiie siècle, l’École dominicaine et l’École franciscaine. Or, à ce moment, ces deux écoles de frères mendiants brillaient du plus vif éclat ; elles dominaient l’enseignement de l’Université de Paris, régente, au Moyen Âge, de la science universelle.

Avant que le xiiie siècle ne fût arrivé au milieu de son cours, Albert le Grand avait achevé la plupart de ses commentaires, et la théorie des sphères homocentriques s’y trouvait amplement exposée et discutée.

L’œuvre d’Al Bitrogi paraît avoir sollicité très vivement l’attention du savant Dominicain ; le nom d’Alpetrans Abuysac, revient fréquemment dans ses divers écrits, et s’il multiplie les objections contre la théorie des sphères homocentriques, du moins montret-il, par sa critique même, le vif intérêt qu’il prend à cette tentative [1].

Il ne semble pas, toutefois, que l’Évêque de Ratisbonne ait exactement saisi la pensée de l’Astronome arabe. Le système d’Al Bitrogi lui est apparu comme un essai pour expliquer tous les mouvements célestes au moyen d’un moteur unique ; ce moteur imprimerait le mouvement diurne à la neuvième sphère ; ce mouvement se communiquerait aux sphères inférieures, dont chacune peut tourner uniformément autour de ses pôles particuliers, mais il se communiquerait avec un retard d’autant plus grand que la sphère mise en mouvement serait plus éloignée de la neu-

1. Albert le Grand, gui, dit-on, savait l’Arabe, a pu faire usage du texte même d’Al Bitrogi ; mais certainement il s’est aussi servi de la traduction de Michel Scot ; il dit quelque part (a) que le livre d’Alpétragius commence par ces mots : Deteyam tibi secretum… ; or ce sont bien les premiers mots de la traduction de Michel Scot0J.

(a) Alberti Magni Spéculum. Astronomie ? in quo dé lîbris licitis et illieitis pertractatur ; Cap. n. — Il est vrai que le P. Mandonnet conteste l’attribution de ce Spéculum a Albert le Grand et le regarde comme une œuvre de Roger Bacon [P. Mandonnet, O. P., Roger Bacon ci le Spéculum Astronomie ? (1*77}

(Revue Néoscolastique de Philosophie, août 1910)].

(b) Cf. : Jourdain, Op. laud., p. 508.

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