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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


à rejeter les doctrines de l’Almageste comme incompatibles avec la saine Physique.

Et, d’autre part, les astronomes de profession, ceux qui étudiaient le ciel en visant les étoiles à l’aide d’instruments, et non pas en commentant les livres d’Aristote, ne pouvaient rien trouver qui les satisfît dans les écrits d’Averroès et d’Al Bitrogi. Il leur fallait des théories déterminées jusque dans le détail, adaptées a la construction de tables et à la rédaction de canons, qui leur permissent de prévoir et de réduire leurs observations ; dans les tentatives des physiciens, ils ne trouvaient que des ébauches, voire des promesses de théories ; très raisonnablement, ils se refusaient à lâcher la proie qu’ils tenaient pour l’ombre qu’on leur faisait entrevoir.

Entre les exigences de la Physique péripatéticienne et les besoins de l’Astronomie d’observation, les plus grands esprits de la Scolastique latine se trouvaient en balance, ne sachant de quel côté le plus fort poids les devait faire pencher. Robert Grosse-Teste, saint Bonaventure, saint Thomas d’Aquin nous ont donné divers témoignages de cette indécision ; et nous avons vu Roger Bacon demeurer dans cette hésitation, en dépit de profondes méditations sur les systèmes astronomiques dont ses divers ouvrages nous retracent les péripéties.

En 1267, cependant, Roger Bacon avait connaissance d’une théorie qui s’était, depuis peu, répandue parmi les Latins, puisqu’il la nommait ymaginatio modernorum ; cette imagination, à laquelle il ne voulait pas reconnaître une valeur décisive, allait enfin déterminer la chute de la balance qui oscillait depuis si longtemps ; grâce à elle, le système de Ptolémée allait l’emporter.

C’est qu’en effet, la Physique d’Aristote avait, jusqu’alors, été secondée par une alliée, dissimulée, mais puissante : l’imagination. Même en l’esprit grec, si merveilleusement apte, cependant, à concevoir les idées abstraites, le besoin s’était rencontré[1] de figurer les mouvements astronomiques par des rotations de corps solides emboîtés les uns dans les autres, et que le tourneur pût découper dans le bois un dans le métal. Bien moins vigoureuse que l’esprit grec, l’intelligence arabe avait très fortement ressenti[2] ce besoin. Comment l’intelligence des Scolastiques de la Chrétienté latine eût-elle été seule exempte de ce désir ?

  1. Voir : Première partie, chapitre X, § II ; t. II, pp. 81-82.
  2. Voir : Première partie, chapitre XI, §§ I et II ; t. II, pp. 117-129.