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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

les paroles par lesquelles frère Bernard de Verdun réprouve une telle opinion [1] :

« En faveur de quelques raisons sophistiques, nier ce qui est plus certain que toute raison, cela est absurde ; c’est sottise semblable à celle de ces anciens qui, en vertu de quelques sophismes, niaient le mouvement, et tout espèce de changement, et la pluralité des êtres, toutes choses dont la fausseté et la contradiction sont manifestes à nos sens. Ces choses-là, en effet, ne sauraient être démontrées, pas plus qu’on ne peut démontrer que le feu est chaud, ni que toute existence implique la substance et l’accident ; c’est le sens qui nous assure qu’il en est ainsi. Aussi le Philosophe déclare-t-il que nous connaissons ces choses avec plus de certitude qu’aucune raison n’en saurait donner ; et il ajoute qu’il ne saurait convenir d’en chercher les raisons ; car tout raisonnement de notre part présuppose le sens. »

Plus certaines que toutes les doctrines philosophiques sont les vérités que l’observation et l’expérience nous révèlent ; folie donc de leur préférer une Physique qu’elles contredisent ; folie également de vouloir édifier une Physique à l’aide des seuls raisonnements du philosophe et sans avoir acquis, au préalable, les connaissances que la Science expérimentale a révélées ; avant de discourir sur la nature des cieux, il faut être astronome. Cela, Albert le Grand l’avait déjà déclaré [2] : « Averroès, disait-il, n’a nullement acquis une connaissance exacte de la nature des corps célestes ; aussi a-t-il formulé, au sujet des cieux, beaucoup de propositions abusives et absurdes ; la simple vue suffit à nous convaincre de la fausseté de ces propositions ».

Lors donc que le physicien veut raisonner de la substance céleste et de ses propriétés essentielles, il se doit mettre à l’école de celui qui use du sens, de celui qui observe ; il ne doit pas s’entêter à soutenir une doctrine que l’astronome de profession déclare contredite par les faits ; il ne doit pas regarder comme absurde une théorie que le calculateur tient pour indispensable. Puisque tous ceux qui font métier d’astronome sont ralliés au système des excentriques et des épicycles, tous les physiciens de Paris ou, du moins, tous ceux qui sont de bon sens doivent également adhérer à l’Astronomie de Ptolémée ; c’est ce qu’en 1368, nous apprend maître Albert de Saxe [3] :

  1. Tractatus optimus super totam Astrologiam editus a Fratre Bernardo de Virduno, Dist. III, Cap. IV (Bibliothèque Nationale, fonds latin, mss. no 7333 et no 7334).
  2. Alberti Magni De Cœlo et Mundo liber primus ; tract. I, cap. IV.
  3. Alberti de Saxonia Quæstiones subtilissimœ in libros de Cœlo et Mundo ; in lib. VII quæst. II.