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L’ASTRONOMIE PARISIENNE. — II. LES PHYSICIENS

opinions des anciens quels qu’ils soient. Cela est doublement utile. Nous accepterons pour notre profit ce qu’ils ont dit de bien, et nous nous garderons de ce qu’ils oui mal exposé ». La raison qui nous permet d’en user si librement avec les vieux maîtres, la voici [1] : « Le but de la Philosophie n’est pas de savoir ce que les hommes ont pensé, mais bien quelle est la vérité des choses ».

L’enseignement de Saint Thomas, on le peut croire aisément, avait trouvé dans les écoles un écho prolongé. Il avait été écouté et suivi, tout d’abord, par l’École dominicaine. Lorsque, vers 1311, Thierry de Freyberg envoie son admirable Traité de l’arc en ciel à Aymeric de Plaisance, voici en quels termes il s’exprime [2] au sujet de l’autorité d’Aristote :

« Il faut déclarer, à cet égard, que ce qu’a dit le Philosophe doit être exposé, par respect pour sa doctrine philosophique et à cause de l’autorité de cette doctrine ; chacun doit l’interpréter selon sa science et sa puissance. Mais nous savons aussi que, selon le meme Philosophe, on ne doit jamais s’écarter de ce qui est manifeste au sens. — Dicendum ad hoc, quod pro reverentia et auctoritate philosophicæ doctrinæ, dictum Philosophi exponendum est : et interpretetur quilibet sicut scit et potest. Scimus autem quod, secundum eundem Philosophum, a manifestis secundum sensum nunquam recedendum est. »

« Cette réponse hardie, ajoute Venturi, a probablement scandalisé plus d’un des confrères » de Thierry. Bien au contraire, nous venons de le voir, elle était conçue dans l’esprit même de Saint Thomas d’Aquin.

Ce même esprit soufflait également dans l’École franciscaine. Bacon, à la vérité, semblait parfois résister à cette influence ; « ceux, disait-il [3], qui ont l’intention de détruire les épicycles et les excentriques disent qu’il vaut mieux sauver l’ordre de la nature et contredire au sens qui se trouve si souvent en défaut, surtout dans les cas où intervient une grande distance ; il vaut mieux, a leur avis, laisser sans solution quelque sophisme difficile à résoudre que de supposer sciemment ce qui est contraire à la nature. » L’illustre Franciscain avait paru pencher vers cet avis. Écoutons

  1. D. Thomæ Aquinatis In libros de Cœlo et Mundo expositio ; in lib. I lectio XXII.
  2. Giambettista Venturi, Commentarii sopra la Storia e le Teorie dell’ Ottica ; tomo primo (e unico), Bologna, 1814. III. Dell’ Iride, degli aloni e de peregli, pp. 157-158.
  3. Incipit liber primus communium naturalium Fratris Rogeri BaconIncipit liber secundus communium naturalium qui est de celestibus… Cap. XVIIum (Bibliothèque Mazarine, ms. no 3576, fol. 130, col. a ; éd. Steele, p. 443).