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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

De quelle activité eut-il fallu qu’il fût doué pour rédiger, en ce même temps, de longs commentaires aux écrits d’Aristote ? À partir de 1326 au plus tard, c’est la fuite en Allemagne, les condamnations répétées fulminées par Jean XXII, le voyage en Italie à la suite de Louis de Bavière, les agitations et les séditions fomentées à Rome. En 1328, enlin, la mort survient. Dans une vie troublée à ce point, il n’y avait assurément pas assez de loisirs pour que des traités philosophiques très nombreux, très étendus, très érudits y pussent être composés. Si donc Jean de Jandun a trouvé le temps de donner à la Philosophie péripatéticienne ses vastes commentaires, c’est avant 1323, c’est alors qu’il était maître ès arts à l’Université, « maître des artiens » au Collège de Navarre ou chanoine de Senlis. Ces commentaires témoignent de l’enseignement qui se donnait à Paris de 1310 à 1320.

Au sujet des opinions qui avaient cours alors touchant les hypothèses de l’Astronomie, diverses circonstances rendent précieux le témoignage de Jean de Jandun.

Jean de Jandun devait être, en effet, parmi les maîtres ès arts de Paris, l’un des moins disposés à recevoir le système des épicycles et des excentriques, car il était admirateur fanatique d’Averroès, dont les partisans se faisaient rares aux rives de la Seine. « Averroès [1] est, à ses yeux, perfectissimus et gloriosissimus physicus, veritatis amator et defensor intrepidus ». Il dit de lui-même [2] « qu’il est le singe d’Aristote et d’Averroès ». Aucune autorité n’a le moindre poids à ses yeux, fût-ce l’autorité du grand Thomas d Aquin, lorsqu’elle n’est pas dans le même plateau de la balance que l’autorité d’Ibn Rochd. « Je ne me fie, dit-il [3], à l’autorité de frère Thomas ni en la circonstance actuelle ni en aucune circonstance où ses conclusions philosophiques contredisent, à celles du Commentateur ».

Mais si l’opinion d Averroès l’emporte, dans la raison de Jean de Jandun, sur l’opinion de tous les autres philosophes, il est cependant, dans cette même raison, quelque chose de plus puissant que l’autorité d’Averroès ; c’est le témoignage des sens. S’il y a contradiction entre la doctrine du Commentateur et les enseignements de la Science d’observation, ce sont ces enseignements qui l’emporteront.

  1. E. Renan, Averroès et l’Averroïsme, essai historique, Paris, 1852 ; p. 270.
  2. M. De Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, 2e édition, Paris, 1905 ; p. 470. — Nous n’avons pu découvrir le passage où Jean de Jandun aurait tenu ce langage.
  3. M. De Wulf, Op. laud., p. 472.