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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

premier moteur, tandis que chaque sphère partielle a son mouvement particulier. Il ne faut donc pas admettre l’existence d’une neuvième sphère à titre de premier mobile approprie au premier moteur ; c’est le ciel tout entier qui est, en son ensemble, le mobile approprié au premier moteur ; c’est, ce mobile que le premier moteur meut, en sa totalité, d’un seul mouvement simple qui est le mouvement diurne ; tandis que ses sphères sont mues, par des moteurs particuliers et divers, de mouvements différents les uns des autres…

» L’objection est sans valeur, qui consiste a dire : Les astronomes supposent l’existence de cette sphère. Il n’est pas nécessaire, en effet, de la supposer, si ce n’est par l’imagination, afin de pouvoir plus aisément comparer au mouvement diurne tous les mouvements particuliers des sphères célestes ; ainsi donc, en l’imagination, il est bien nécessaire de supposer cette neuvième sphère, mais sans affirmer, cependant, si elle existe ou non en réalité. »

Cette neuvième sphère conçue non point comme un orbe réel, mais comme un solide imaginé par le géomètre afin qu’on y puisse rapporter les mouvements des astres, c’est bien celle qu’avait considérée Simplicius, dont l’influence se laisse ici deviner. Nous allons trouver, d’ailleurs, en lisant les Questions de Buridan, un écho de l’enseignement que Simplicius donnait au sujet des hypothèses astronomiques, de cet enseignement que nous avons entendu à plusieurs reprises, répété par Saint Thomas d’Aquin et par Jean de Jandun.

« Je délie l’autorité des astronomes, écrit Buridan [1], et je dis, comme le dit le Commentateur, que les astronomes n’ont pas à se soucier de savoir par quels moteurs sont mus les corps célestes, si c’est par eux-mêmes ou par des intelligences ; ils n’ont pas non plus à rechercher s’ils sont mus par un seul moteur ou par plusieurs moteurs, ni si une sphère est ou non mue par une autre sphère. Il leur suffit de savoir que les corps célestes sont mus de tant de mouvements et avec telles vitesses, car, par là, ils veulent seulement reconnaître les rapports de situation que les astres ont les uns à l’égard des autres ou qu’ils ont à notre égard. Il leur suffit donc de recevoir l’hypothèse la plus facile à imaginer, selon laquelle, si elle était vraie, les astres se mouvraient d’autant de mouvements et avec les mêmes vitesses qu’ils se meuvent à présent ; et ils ne doivent point se soucier de savoir s’il en est en réalité comme ils l’imaginent (Et ideo sufficit eis accipere faci-

  1. Jean Buridan, loc. cit. ; éd. cit., fol. LXXII, col. c.