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L’ASTRONOMIE ITALIENNE

Dédaigné par Frédéric II, il mit sa science divinatrice au service de seigneurs de moindre envergure. Peut-être fut-il quelque temps astrologue de la Cité de Florence [1] ; mais en 1259, nous le voyons[2] à Brescia, dans la suite d’Ezzelino III da Romano, seigneur de l’adoue, qui mourut le 27 septembre de cette même année ; ensuite, et jusqu’à la fin de ses jours notre Guido Bonatti fut astrologue de Guido di Montefeltre[3].

Veut-on connaître les sacripants dont notre devin servait les projets ? Voici, d’abord, le portrait qu’il nous trace lui-même[4] d’Ezzelino :

« C’était un homme des bois, et très féroce (homo silvester et valde ferais). Son esprit ne s’associait pas aux autres hommes et ne pouvait souffrir de s’associer avec eux ; comme ce tyran Glinius de Romano, dont la tyrannie n’en connut aucune qui lui ressemblât, il n’épargna aucun ordre, il n’épargna aucune religion, il n’épargna aucune noblesse, il n’épargna aucun âge, il n’épargna aucun sexe, il n’épargna ni le sang étranger ni son propre sang ; sans aucune cause, il tua de sa main son propre frère et son propre neveu. Et moi j’ai vu tout cela. »

Après avoir fait partie de la bande du loup, Guido Bonatti se mit à la suite du renard ; voici, en effet, comment Villani nous dépeint[5] Guido de Montefeltre :

« C’était un homme plein d’astuce et île sagacité que l’on regardait en Italie comme un nouvel Ulysse ; mais la renommée qui lui valut cette célébrité, il la dut autant à Guido Bonatti qu’à lui-même ; jamais, en effet, le comte Guido n’osa rien tenter sans avoir pris conseil de Guido Bonatti ; ainsi, tout ce que ce renard très fourbe (vulpes illa versutissima) a accompli de glorieux était sorti, à l’état de projet, du cœur de Guido Bonatti… Toutes les fois que le comte Guido méditait une entreprise contre une république quelconque, Guido Bonatti s’installait dans le campanile de Saint-Mercurial pour y observer les astres ; le comte était averti qu’au moment où il entendrait le premier tintement de la cloche, lui et les siens eussent à revêtir leurs armures ; au second tintement, ils devaient monter à cheval ; au troisième, lever les étendards et s’élancer au galop. Par cette invention, l’expérience en est témoin,

  1. B. Boncompagni, Op. laud., pp. 33-34.
  2. B. Boncompagni, Op. laud., pp. 28-33.
  3. B. Boncompagni, Op. laud., pp. 6-7.
  4. B. Boncompagni, Op. laud., Pars I, tract. II, pars II. cap. XXII ; éd. cit., col. 152.
  5. B. Boncompagni, Op. laud., p. 6.