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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

La lecture du Calendrier de la Reine vient donc renforcer l’impression que nous avions reçue en étudiant les traités de Bernard de Verdun et de Jean de Sicile ; elle nous persuade que le développement pris par l’Astronomie, dans l’Université de Paris, à la fin du xiiie siècle a été fortement promu par l’œuvre de Bacon.

Cette opinion étonnerait sans doute ceux qui pensent que le secret imposé à Roger Bacon ensevelissait ses livres dans un profond oubli. Mais il n’en était pas ainsi. À la fin du xiiie siècle, on lisait et on citait ouvertement les traités du savant Frère mineur ; nous en pouvons donner deux preuves manifestes.

Vers 1300, le légiste « Pierre Du Bois [1] cite un de ces opuscules ou petits cahiers dont la réunion a formé l’Opus majus. »

Un certain dominicain, du nom de Frère Thomas, chapelain de Robert, fils de Charles II d’Anjou, roi de Naples, a composé un traité intitulé : De essentiis essentiarum [2]. Les manuscrits, et même les éditions imprimées, ont parfois attribué cet opuscule à Saint Thomas d’Aquin ; la méprise était grossière ; l’écrit de Frère Thomas, en effet, débute par cette dédicace :

« Magnifico Principi ac Illustrissimo Domino suo Roberto primogenito Regis Hierusalem et Siciliæ, Dei gratia Duci Calabriæ ac in Regno Siciliæ Vicario generali, frater Thomas de ordine Prædicatorum, ejus capellanus, ejusque factura, reverentiam omni humilis devotianis obsequio. »

Quétif et Échard ont analysé [3] les termes de cette dédicace ; ils ont montré qu’elle ne pouvait avoir été écrite avant l’an 1296, quelle était donc postérieure de beaucoup à la mort de Saint Thomas d Aquin.

N’eût-on pas cet argument chronologique indiscutable, qu’on n’en serait pas moins fort mal inspiré d’attribuer au Docteur Angélique cet ouvrage d’un auteur dont la crédulité passe l’imagination ; n’affirme-t-il pas « avoir vu un livre d’Alchimie editus par cet Abel qui fut victime de Caïn ! »

Notre trop naïf Frère Thomas est un admirateur enthousiaste de Roger Bacon ; il le nomme [4] : « Rogerius Bacon, vir utique sapientissimus in scientiis atque promptissimus. » Il cite, de ce maître admiré, divers traités, le Liber de influentiis [5], le Liber de

  1. Ernest Renan, Notice sur Pierre Du Bois, légiste (Histoire littéraire de la France, t. XXVI ; p. 473).
  2. Bibliothèque Nationale, fonds latin, nouv, acq., no 1715 ; fol. 159, ro, à fol. 194, ro.
  3. Quétif et Échard. Scriptores ordinis Prœdicatorum, t. I, p. 344, col. b, et p. 345, col. a (Art. : S. Thomas ab Aquino).
  4. Ms. cit., fol. 167, ro.
  5. Ms. cit., fol. 168, ro.