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AVERROÈS

« Rien donc n’empêche l’intelligence acquise’ de donner.. . le mouvement pour sc penser soi-même ; et alors arrive la véritable conception intelligible, c’est-à-dire la perception de l’être qui, par son essence même, est intelligence en acte, sans avoir eu besoin, ni maintenant, ni auparavant, de quelque chose qui le fit sortir de 1 état de puissance. C’est la conception de 1 Intelligence séparée, je veux dire de Y Intelligence active, telle quelle se conçoit elle-même ; c’est la fin de tous les mouvements. » En dépit des divergences de forme, nous reconnaissons ici ce qu’Averroès nous avait donné comme le fond de la doctrine d’Ibn Bàdja ; 1 Intelligence active n’est pas autre chose que l’essence spécifique de 1 homme, éternelle et unique pour tous les hommes, existant hors de toute matière, se connaissant elle-même et connaissant par là, d’une science unique, tous les intelligibles qui sont en elle. Elle est ce que Thémisfius avait défini. Nous reconnaissons aussi ce qu Averroès trouvera répréhensible dans l’enseignement d’Avempace ; c’est seulement au ternie de la connaissance des intelligibles universels que la raison de l’homme s’identifie à l’intelligence active ; au principe de cette même connaissance, se rencontrent seulement l’abstraction et la généralisation qui opèrent sur les notions individuelles fournies par le sens, par la mémoire et par l’imagination. « Toutes ces formes - ne constituent pas le but linal, mais c’est par elles qu on arrive aux autres dont elles sont les causes. » Les efforts répétés d’Ibn Bàdja pour construire une théorie de l’intelligence humaine durent attirer fortement l’attention des philosophes de LIslam.

lbn Tofaïl, dont le nom complet est Abou Bekr Mohammed ben Abd-el-Malik ben Mohammed ben Mohammed ben Tofaïl cl Kaïci, et que les maîtres de la Scolastique latine nommaient Abubacer, s’était, lui aussi préoccupé du problème de l’âme humaine. Averroès nous apprend3 qu’il s’était élevé contre l’opinion d’Alexandre, selon laquelle l’intelligence en puissance était chose formée par l’union des éléments corporels ou, tout au moins, vertu unie au corps ; comme lbn Bàdja, il avait identifié cette intelligence avec l’imagination. Sans être disciple d’Ibn Bàdja, lbn Tofaïl s’en inspirait lorsqu’il étudiait ces questions4 ; 1. S. Münk, Op. laud., p. 4°9-

2. S. Mukk, Op. laud., pp. Zjoo-4oi.

3. Averrois Cohdubensis In libros Aristote !is de anima commenlarii ; lib. Ht, summa 1, cap. I, comm. 5.

4. Léon Gauthier, lbn Thofaïl, sa vie, ses œuvres, p. 4 et pp. 85-8j.