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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

hérésies d’Avicenne ; il a soin,d’ailleurs, de le dire expressément.

Comment donc, au gré du Commentateur de Cordoue, Aristote est-il arrivé à la notion de Matière première ? Il a soumis à l’analyse les changements qui se produisent dans le Monde sublunaire, et il a constaté qu’ils étaient de deux sortes. Les uns portent seulement sur les accidents de l’être qui en est le sujet ; ce sont la dilatation ou la contraction qui changent la quantité de cet être, l’altération qui en modifie les qualités. Les autres, à des formes substantielles préexistantes, substituent des formes substantielles nouvelles ; chacun de ces derniers changements fait périr une substance pour en engendrer une autre. En tous ces changements, qu’ils soient substantiels ou accidentels, Aristote a noté des caractères communs ; Averroès en compte cinq :

1° Le changement suppose l’existence d’un sujet qui éprouve ce changement.

2" Avant d être, ce qui est produit ou engendré dans ce sujet n’était pas.

3° Avant d’être, ce qui doit être produit ou engendré était possible.

4’ Ce qui se trouve produit par le changement est contraire à ce qui se trouve détruit.

5° Ce qui est détruit et ce qui est produit sont deux choses de même genre.

Mais entre les transformations qui portent seulement sur les accidents, d’une part, et, d’autre part, l’association d’une corruption avec une génération, une différence profonde sc marque, en dépit de ces caractères communs. Le sujet de tout changement accidentel est un individu qui existe d’une manière actuelle. Au contraire, « lorsque les individus éprouvent un changement dans leur substance même, il faut que le sujet de ce changement n existe pas en acte ; il faut qu’il ne possède pas lui-même une forme capable d en faire une substance (non habere formant qua substantiatur)... Par conséquent, la nature de ce sujet qui reçoit les formes substantielles, et qui est la Matière première, est nécessairement la nature d’une puissance ; c’est-à-dire que la puissance est ce qui en caractérise la substance (potentia est ejus differentia suoslantialis). Ce sujet n’a donc aucune forme propre, il ne possède aucune nature existant en acte ; sa substance est en puissance (ejus substanlia est in posse) ; c’est pour cela que la Matière est apte à recevoir toutes les formes.