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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Peut-être donc nous sera-t-il permis de dire qu’Averroès, au De substantia orbis, a sollicité l’enseignement d’Aristote jusqu’à lui faire produire une affirmation que le Stagirite n’avait ni formulée ni même préparée, bans la Métaphysique de Saint Thomas d’Aquin et de ses disciples, cependant, cette affirmation passera pour l’expression authentique de la pensée péripatéticienne ; en vérité, elle ne formulera qu’une doctrine averroïste. Nous avons suivi le raisonnement par lequel Averroès est arrivé à cette proposition : En toute substance, une forme substantielle unique est jointe à la Matière première, qui est pure puissance. Voyons maintenant comment le Philosophe de Cordoue va nous conduire àcette autre proposition : La Matière première est divisible. Cette nouvelle déduction part du principe suivant1 : Les divers individus d’une même espèce ont, en eux, une seule et même forme substantielle, et c’est pourquoi ils appartiennent à la même espèce ; s’ils sont distincts les uns des autres, c’est parce que cette forme substantielle unique informe, en eux, des portions différentes de la Matière première. « Les formes substantielles ne souffrent la division que par l’effet de la division de la Matière première. Invenit substantia/es formas dividi xecundum divisionem hujus subjecti. »

Par la diversité des parties de Matière première qui sont en eux, et par là seulement, se distinguent les uns des autres les individus d’une même espèce. Ce principe joue un grand rôle dans toute la Métaphysique d’Averroès ; au § II, nous avons déjà vu quel corollaire il donnait touchant la survie de I’ftme humaine. Lorsqu’Averroès attribue cet axiome au Stagirite, il semble bien qu il en ait. le droit. Cet axiome, en effet, ne se trouve-t-il pas clairement invoqué par Aristote2 lorsqu’il expose le raisonnement que voici ?

« Que le Ciel soit unique, cela est manifeste. S’il existait, en effet, plusieurs cieux, comme il existe plusieurs hommes, le principe de ces divers cieux serait spécifiquement un et numériquement multiple ; or toutes choses qui sont numériquement multiples possèdent une matière (wa àp’Jpô «tiXkà, ûX^v êysi) ; car ces choses multiples admettent une seule et même raison [spécifique], telle la raison spécifique de l’homme... Or, ce qui est le premier litre na pas de matière, puisqu’il est acte pur. Le premier Moteur immobile est donc un, spécifiquement et numériquement. Dès i* Averrois (-ordubensis Sermo rfe sutetantia orôts. cap. I. 2. Aristote, MMaphysipue, livre XI, c. Vlll (Aristotelis 0/tera, éd. Dîdot, l* II, p, 608 ; éd. Becker, vol. Il, p, 1074, coL a).