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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

stance composée de la Matière première et de la Forme première, (jui est la corporalitas.

Cette théorie, Averroès la rejette résolument ; l’ultime sujet auquel on parvienne en étudiant les changements substantiels possède déjà les dimensions non-terminées et la divisibilité ; il ne faut pas mettre ces caractères-là sur le compte d’une première forme qui serait venue les conférer à une Matière première encore plus indéterminée.

Parmi les objections qu’Averroès adresse à Ibn Sinâ, il en est qui ne valent rien, celle-ci, par exemple : La forme corporelle considérée par Avicenne ne se laisserait pas diviser par l’effet de la division du sujet. C’est qu’Averroès veut «pie toute forme existant dans une matière sc trouve subdivisée par la division de cette matière ; mais il est bien clair «pie cette règle ne pourrait être posée comme générale s’il existait (lue certaine forme, la corporel té, qui subsistât dans une matière non «louée de divisibilité ; la réponse suppose ce qui est en question.

D’autres objections sont plus concluantes ou, pour parler plus exactement, elles montrent mieux que l’idée de matière selon la philosophie d’Avicenne n’a rien de commun avec l’idée de matière selon la philosophie d’Aristote.

Pour Aristote, la matière, c’est le sujet permanent d’un changement ; la forme, c’est ce «pii, dans ce changement, est remplacé par une forme contraire.

Or, les dimensions non-terminées, la divisibilité no sont pas choses qui admettent «les contraires ; aussi aucun changement ne peut-il les affecter, les faire disparaître pour faire apparaître autre chose. En tout changement substantiel, les dimensions indéterminées, la divisibilité sc trouvent aussi bien dans la substance qui est détruite qu’en la substance qui est engendrée. Ces dimensions, cette divisibilité ne sont donc pas les caractères d’une certaine forme ; ce sont des attributs qui subsistent et demeurent dans le sujet permanent de tout changement substantiel, dans la Matière première. En maintenant contre Avicenne cette proposition, Averroès se montre fidèle disciple du Stagirite. Evidemment, Ibn Sinà conçoit tout autrement «pf Aristote les notions de matière et de forme ; et cela est forcé, du moment «m il conçoit tout autrement les notions de puissance et d’acte. Pour dissocier la matière et la forme, pour discerner ce qui appartient à l’une et ce qui appartient à l’autre, Aristote et son disciple Averroès observent quelque changement réel ; en un tel changement, ils séparent ce qui se transforme de ce qui demeure