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L’ASTRONOMIE PARISIENNE. — I. LES ASTRONOMES

sent l’Art judiciaire et la réfutation des critiques que ces personnes adressent aux prédictions des astrologues. Mais ce plaidoyer ne semble pas dicté par une inébranlable conviction.

Peut-être, si Jean de Saxe écrivait sur l’Astrologie et tirait des horoscopes, est-ce tout simplement parce que ce métier se montrait plus lucratif que l’étude mathématique des mouvements planétaires ; car notre astronome n’était pas homme à dédaigner le gain ; nous en recevons de sa bouche, dans la pièce que nous analysons, l’aveu naïf.

En énumérant les conditions que doit remplir le bon astrologue, il écrit :

« Quant à la troisième condition, Haly dit, dans son commentaire du Centiloquium, qu’il ne nous faut point soucier des biens du monde ; le souci de ces biens, en effet, nous ôte la connaissance des choses à venir ; nous pourrons, au contraire, prévoir l’avenir si nous sommes détachés de tous les biens du monde ; aussi voyons-nous la plupart des ermites prédire le futur ; quelques épileptiques prédisent également l’avenir tandis que la crise les torture, car ils n’usent plus alors des sens corporels, mais seulement des sens de l’âme. On voit donc que le philosophe ne doit pas être riche ; c’est ce dont témoigne Aristote au septième livre de la Politique : « Le philosophe n’a pas besoin d’être le maître de la terre » et des mers ; il lui suffit d’un serviteur qui lui fasse cuire quelques légumes »… Mais cette condition-là déplaît à beaucoup de gens, et à moi aussi. »

Jean de Saxe se proclame disciple de Jean des Linières ; Jean de Murs, contemporain de Jean des Linières, invoque l’autorité de Guillaume de Saint-Cloud. Ainsi se trouve mis en évidence le lien qui unit entre elles trois générations de savants ; et ces trois générations sont celles qui, de 1280 à 1350, ont fondé et développé l’École astronomique de Paris.

La première génération, celle à laquelle appartiennent Jean de Sicile et Guillaume de Saint-Cloud, est encore presque contemporaine de Campanus de Novare et de Roger Bacon, dont elle subit l’influence ; elle a été témoin des derniers efforts tentés contre la doctrine astronomique de Ptolémée ; en ce temps-là, le système des épicycles et des excentriques, seul capable, à ce moment, de guider les observateurs, obtient l’adhésion générale des Parisiens ; après ce temps, on n’entendra plus faire même une allusion aux objections que cette théorie a dû surmonter. Les astronomes de cette génération ne connaissent pas encore le système par lequel Alphonse le Sage et ses calculateurs préten-