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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

des maîtres de la Philosophie péripatéticienne, particulièrement d’Aristote et d’Averroès ; d’autre part, le système de Ptolémée invoquait en sa faveur l’accord de ses calculs avec l’observation. La bataille mettait donc aux prises ceux (pii veulent assurer leur pensée en la rattachant à une doctrine philosophique regardée comme infaillible, et ceux qui ne veulent, en Physique, rien recevoir pour certain, sauf ce qui leur est enseigné par les sens ; elle se livrait entre l’autorité et l’expérience.

Les astronomes de profession, ceux dont la quotidienne occupation est d’observer les astres, mettaient le témoignage de l’expérience sensible au-dessus des principes de toute Philosophie ; ils tenaient tous, sans aucune hésitation, pour le seul système qui s’accordât avec les faits et qui permit de les prévoir ; leur unanime adhésion au système des excentriques et des épicycles n’a rien dont nous puissions être étonnés.

Faut-il attendre la même adhésion unanime de la part de ceux qui sont plus attentifs à discuter les principes mêmes de la Physique qu’à en soumettre les corollaires au contrôle des faits ? Ceux-là sont tous disciples de la Philosophie péripatéticienne ; par là, ils doivent incliner, semble-t-il, à rejeter le système de Ptolémée et à chercher dans une combinaison de sphères homocen triques l’explication des phénomènes astronomiques. Pendant bien longtemps, n’a-t-on pas appelé Astronomie des mathématiciens le système de Ptolémée et Astronomie des physiciens le système d’Alpétragius ? Repoussée, dès la fin du xiiie siècle, par tous les astronomes de Paris, la théorie d’Al Bitrogi ne va-t-elle pas garder quelques défenseurs parmi les Parisiens (pii traitent de la Physique ?

Ni à la fin du xiiie siècle ni au cours du xive siècle, l’hypothèse des sphères homocentriques ne trouvera, dans Paris, le moindre partisan. lit la raison en est simple. Sur les rives de la Seine, il n’y a plus un homme sensé qui ne soit fermement décidé à enfreindre l’autorité du philosophe le plus sincèrement admiré, à renoncer à la théorie métaphysique la mieux déduite, lorsque cette autorité ou cette théorie est contredite par un enseignement dûment établi de la Science expérimentale ; c’est à celle-ci qu’il appartient, dans le domaine de la Physique, de dire le dernier mot. L’attitude, à la fois respectueuse et libre, que l’homme de science doit garder envers les opinions des anciens, Saint Thomas d’Aquin l’avait déjà définie avec précision : « Il faut[1] recevoir les

  1. D. Thomæ Aquinatis In libros de Anima expositio ; in lib. I lectio II.