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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/346

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LA ROTATION DE LA TERRE

seulement la vitesse, dirigée suivant la verticale, que la corde lui communique ; elle possède également cette vitesse due à la rotation de la terre ; c’est seulement en apparence que la vitesse initiale de la flèche se réduit à la première de ces deux composantes ; en réalité, cette vitesse initiale résulte de toutes deux ; la connaissance de cette vitesse initiale totale, celle de la pesanteur, permettent de déterminer le mouvement apparent de la flèche par rapport à l’archer. Les géomètres ont complètement traité ce problème ; la flèche ne retombe pas exactement au lieu d’où elle a été tirée ; une légère déviation résulte du mouvement de la terre.

Ce n’est pas ainsi qu’Oresme traite le mouvement d’un projectile lancé verticalement. Ce projectile, à son gré, continue, même après qu’il a quitté l’arme, à faire partie du système terrestre qui comprend non seulement la terre, mais encore l’air et l’eau ; or toute cette partie du Monde est animée de mouvement diurne ; « selon ceste oppinion, la terre seulement n’est pas auxi meue, mes ouvecques ce l’eaue et l’aer. » À chaque instant, la flèche est contiguë à une certaine partie d’air ; cet air est mû d’un mouvement de rotation qui, en un jour sidéral, lui fait accomplir sa course autour de l’axe du Monde ; la flèche, qui se trouve, de l’axe du Monde, à la même distance que cet air, est animée du même mouvement de rotation, qu’il faut, à chaque instant, composer avec le mouvement produit par l’impulsion initiale de l’arc et par la pesanteur. Ainsi, avec ce dernier mouvement, nous composons, à chaque instant, un mouvement de translation dont la vitesse est constamment identique, en grandeur et en direction, à celle qui, au moment du départ de la flèche, animait la corde qui touchait cette flèche ; Oresme, au contraire, compose un mouvement de rotation dont la vitesse angulaire demeure constamment celle du mouvement diurne. La solution proposée par le Chanoine de Rouen n’est donc pas mécaniquement exacte. Pour que le principe de la solution véritable soit découvert, nous devrons attendre Giambattista Benedetti, et Galilée pour qu’il soit appliqué. Du moins les considérations exposées par Oresme étaient-elles de nature à frayer la voie à l’explication légitime.

Le troisième point sur lequel nous voudrions appeler l’attention, c’est la sûreté doctrinale avec laquelle Nicole Oresme écarte les objections que certains textes de l’Écriture Sainte semblent fournir contre le mouvement de la terre. On sait quelle importance ces objections prendront au XVIIe siècle, et