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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/231

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

que les orbes célestes accomplissent avec des vitesses immuables ? Lors de la création, Dieu a donné à chacun d’eux l’impulsion qu’il lui destinait, et l’impetus imprimé se conserve sans atténuation car il n’a pas de force antagoniste à surmonter, pas de résistance à vaincre. Il n’est donc plus besoin de recourir à ces Intelligences dont la Physique, depuis Aristote, faisait les perpétuels moteurs des cieux.

Albert de Saxe avait soigneusement recueilli cette vue géniale de son maître. Les professeurs allemands du xve siècle vont-ils l’imiter ?

Un seul à notre connaissance, Frédéric Sunczel, y va faire une courte allusion.

En faveur de l’hypothèse de l’impetus, Sunczel vient de citer l’expérience fournie par la meule du forgeron[1] ; on l’a fait tourner pendant un certain temps, puis on l’a abandonnée à elle-même ; pendant une assez longue durée, elle conserve son mouvement ; ce mouvement, ce n’est évidemment pas l’air ébranlé qui l’entretient, mais bien l’impetus imprimé dans la meule. Notre auteur ajoute :

« D’une façon semblable, quelques-uns des très anciens philosophes disaient que dès le début, le premier Moteur avait, dans le Ciel, produit un tel impetus. — Sicut in simili aliqui ex antiquissimis philosophis dicebant primum Motorem a principio in cælum talem impetum fecisse. »

Aucun des anciens philosophes n’avait eu pareille audace ; aucun d’eux n’avait songé que la machine des Cieux pût dépendre des lois mêmes qui régissent les machines d’ici-bas ; c’est bien plus près de lui, c’est en Buridan, que Sunczel eût trouvé le premier inventeur de cette doctrine.

Le ton dont le professeur d’Ingolstadt parle de cette supposition montre assez qu’il ne l’admet point. Nous l’entendons, en effet, parler en Péripatéticien de l’intelligence qui meut chaque orbe[2].

Sous la forme que lui avait donnée son auteur, la supposition de Jean Buridan n’a guère rencontré de faveur dans les Universités allemandes ; elle en a trouvé davantage sous une autre forme qui devait, aux yeux des Scolastiques, paraître équivalente.

L’impetus qui fait monter une pierre pesante est une légèreté

  1. Collecta et exercitata Frtderici Sunczel, lib. VIII, quæst. XI.
  2. Friderici Sunczel Op. laud., lib. VIII, quæst. IX.