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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/232

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LES UNIVERSITÉS DE L’EMPIRE

accidentelle ; lorsque cette même pierre tombe, sa chute engendre en elle un impetus croissant qui est une gravité accidentelle ; que l’impetus soit une force motrice de même sorte que la gravité ou la légèreté, tout le monde l’admet, et Sunczel nous l’a déclaré avec beaucoup de précision.

Mais tandis que la gravité réside naturellement dans la pierre, que la légèreté réside naturellement dans le feu, l’impetus ne se trouve que d’une manière accidentelle dans le projectile qu’il entraîne. Il y a été mis par l’effet d’une violence, violence qui a lancé la pierre ou violence qui l’a retenue en l’air avant de la laisser tomber. Il n’y réside qu’à titre caduc et pour peu de temps.

Mais si un impetus avait été infusé dans un corps au moment même où le Créateur a donné l’existence à ce corps ; s’il ne trouvait, dans la substance de ce corps, aucune disposition qui lui fût contraire et qui tendît à le détruire ; s’il demeurait, dans ce corps perpétuel et immuable, en quoi différerait-il d’une puissance motrice naturelle ? Ne serait-il pas tout semblable à la gravité d’un corps pesant ? Et si c’est un tel impetus qui entretient le mouvement de chaque orbe céleste, ne devons-nous pas dire que cet orbe se meut de mouvement naturel, sous l’action de sa forme propre, comme le grave tombe naturellement sous l’action de son poids ?

Ainsi formulée, la pensée de Buridan et d’Albert de Saxe devient la pensée de Nicole Oresme ; or, sous cette forme, la théorie nouvelle des mouvements célestes séduira plusieurs maîtres allemands.

Pour être acceptable, cette théorie suppose que la constitution de la substance céleste soit comparable de tout point à la constitution des substances sublunaires, qu’il y ait, en chaque orbe, une forme et une matière respectivement analogues à la forme, à la matière qui composent une pierre ; elle suppose, en d’autres termes, qu’on efface la ligne de démarcation si nettement tracée par Averroès entre les substances supérieures et les substances d’ici-bas.

Gabriel Biel ne sait trop quelle constitution il convient d’attribuer à la substance céleste. Trois théories sont en présence, qu’il décrit avec beaucoup d’exactitude[1]. La première, qu’insinuent certains passages d’Aristote, refuse aux Cieux toute

  1. Epithoma et collectorium circa quatuor Sententiarum libros Gabrielis Biel, lib. II, dist. XII, quæst. II ; éd. cit., fol. sign. ff ij, col. a, b, c, d et fol. sign. f f iij col. a, b et c.