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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/259

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

« C’est avec des signes et des mots que l’homme fait la science des choses réelles[1], comme Dieu a fait le Monde avec des choses. — Facit igitur homo… scientiam rerum, facit ex signis et vocabulis, sicut Deus mundum ex rebus. »


B. L’intuition mystique


De cette critique, la conséquence légitime paraît être celle que les Parisiens en avaient tirée. S’il est avéré que la raison humaine n’est pas en état d’atteindre à la vérité métaphysique, il convient de délaisser toute spéculation sur les essences et de borner les efforts de notre intelligence aux sciences d’observation.

Ce n’est pas la conclusion de Nicolas de Cues. Il a reconnu que notre raison n’était pas capable de saisir l’essence même des choses ; il ne va pas, pour cela, renoncer à la Métaphysique ; il renoncera seulement à l’asseoir sur la raison.

Tant qu’il s’est agi pour lui de détruire, tant qu’il s’est proposé de ruiner les prétentions de l’intelligence humaine, il s’est mis à l’école des Nominalistes parisiens ; mais maintenant qu’il veut construire, il se fera l’héritier des Mystiques allemands ; à Maître Eckehart et, par Eckehart, à Proclus, il empruntera l’intuition qui lui doit donner ses principes philosophiques.

Si notre raison ne peut saisir les essences des choses, c’est, Nicolas de Cues nous l’a dit, parce qu’elle n’en est pas le principe ; seul, Celui-là peut connaître ces essences, par qui elles sont, on ne les peut donc comprendre si l’on ne comprend le Créateur. « Dès là que l’essence divine est inconnue[2], il en résulte que la connaissance ne peut saisir l’essence d’aucune chose. » « Les créatures[3], par cela même qu’elles sont créatures, ne sauraient être vues d’une manière parfaite, si l’on ne voit le Créateur. »

Mais encore si, pour connaître les essences des créatures, il nous faut connaître l’essence du Créateur, cette dernière connaissance, que doit-elle être ?

  1. Nicolai de Cusa Op. laud., cap. IX ; éd. cit., t. I, p. 245.
  2. Nicolai de Cusa De venatione sapientiæ, cap. XII ; éd. cit., t. I, p. 306.
  3. Nicolai de Cusa Complementum theologicum, cap. XIV ; éd. cit., t. III, p. 1119.