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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/260

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NICOLAS DE CUES

Connaître une chose telle qu’elle est, c’est tout simplement devenir identique à cette chose : « Tant que vous tenez votre intelligence pour une certaine chose autre que l’intelligible lui-même[1], vous ne pouvez pas vous regarder comme connaissant cet intelligible tel qu’il est. »

Nous ne saurions donc parvenir à la connaissance de l’essence divine, à moins de nous identifier avec Dieu, de « passer en Dieu[2] », et, par la filiation divine, de devenir Dieu même.

Du mystique parvenu à cette filiation, « Dieu, par son propre esprit[3], ne sera plus-autre, ni divers, ni distinct… La Vérité ne sera plus alors quelque chose d’autre que l’intelligence [du voyant]… La filiation, c’est la suppression de tout ce qui fait qu’on est autre, de toute diversité ; c’est la résolution de tous en un, résolution qui est même chose que la transfusion d’un en tous ; et cela, c’est la déification même. — Et hæc theosis ipsa. »

L’absorption en Dieu, l’identification avec Dieu, tel est le seul moyen qu’ait l’homme de connaître l’essence divine et, par elle, les essences de toutes les créatures ; la déification est la condition nécessaire de toute intuition métaphysique.

Le philosophe va donc, « par delà les sens, le raisonnement et l’intelligence[4], tendre à la vision mystique où prend fin la hiérarchie ascendante de la puissance de connaître, et où le Dieu inconnu commence à se révéler. »

Le futur évêque de Brixen marque les divers degrés de cette échelle qui monte jusqu’à l’intuition contemplative. Il en compte sept[5]. L’animation ou vie végétative, le sens ou vie sensitive, l’art ou imagination, la vertu ou mémoire conduisent successivement à la tranquillité qui s’élève jusqu’à la pure volonté des choses d’en haut ; alors vient l’entrée (ingressio) ; l’intelligence élève son pur regard, afin de voir l’Objet souverainement désirable et souverainement aimé ; enfin, ces démarches sont couronnées par la contemplation, « en laquelle la vision saisit la demeure de la Vérité vraie ». Ces sept degrés, que l’âme franchit l’un après l’autre, on les peut caractériser

  1. Nicolai de Cusa De conjecturis lib. I, cap. XIII ; éd. cit., t. I, p. 87.
  2. Nicolai de Cusa Excitationum lib. X ; ex sermone : Dum sanctificatus fuero ; éd. cit., t. II, p. 680.
  3. Nicolai de Cusa De filiatione Dei libellus ; éd. cit., t. I, pp. 122-123.
  4. Nicolai de Cusa Dialogus de possest ; éd. cit., t. I, p, 252.
  5. Nicolai de Cusa Excitationum liber II, ex sermone ; Complevit Deus die septimo opus quod fecerat, et requievit ; éd. cit., t. II, pp. 393-394.