Connaître une chose telle qu’elle est, c’est tout simplement devenir identique à cette chose : « Tant que vous tenez votre intelligence pour une certaine chose autre que l’intelligible lui-même[1], vous ne pouvez pas vous regarder comme connaissant cet intelligible tel qu’il est. »
Nous ne saurions donc parvenir à la connaissance de l’essence divine, à moins de nous identifier avec Dieu, de « passer en Dieu[2] », et, par la filiation divine, de devenir Dieu même.
Du mystique parvenu à cette filiation, « Dieu, par son propre esprit[3], ne sera plus-autre, ni divers, ni distinct… La Vérité ne sera plus alors quelque chose d’autre que l’intelligence [du voyant]… La filiation, c’est la suppression de tout ce qui fait qu’on est autre, de toute diversité ; c’est la résolution de tous en un, résolution qui est même chose que la transfusion d’un en tous ; et cela, c’est la déification même. — Et hæc theosis ipsa. »
L’absorption en Dieu, l’identification avec Dieu, tel est le seul moyen qu’ait l’homme de connaître l’essence divine et, par elle, les essences de toutes les créatures ; la déification est la condition nécessaire de toute intuition métaphysique.
Le philosophe va donc, « par delà les sens, le raisonnement et l’intelligence[4], tendre à la vision mystique où prend fin la hiérarchie ascendante de la puissance de connaître, et où le Dieu inconnu commence à se révéler. »
Le futur évêque de Brixen marque les divers degrés de cette échelle qui monte jusqu’à l’intuition contemplative. Il en compte sept[5]. L’animation ou vie végétative, le sens ou vie sensitive, l’art ou imagination, la vertu ou mémoire conduisent successivement à la tranquillité qui s’élève jusqu’à la pure volonté des choses d’en haut ; alors vient l’entrée (ingressio) ; l’intelligence élève son pur regard, afin de voir l’Objet souverainement désirable et souverainement aimé ; enfin, ces démarches sont couronnées par la contemplation, « en laquelle la vision saisit la demeure de la Vérité vraie ». Ces sept degrés, que l’âme franchit l’un après l’autre, on les peut caractériser
- ↑ Nicolai de Cusa De conjecturis lib. I, cap. XIII ; éd. cit., t. I, p. 87.
- ↑ Nicolai de Cusa Excitationum lib. X ; ex sermone : Dum sanctificatus fuero ; éd. cit., t. II, p. 680.
- ↑ Nicolai de Cusa De filiatione Dei libellus ; éd. cit., t. I, pp. 122-123.
- ↑ Nicolai de Cusa Dialogus de possest ; éd. cit., t. I, p, 252.
- ↑ Nicolai de Cusa Excitationum liber II, ex sermone ; Complevit Deus die septimo opus quod fecerat, et requievit ; éd. cit., t. II, pp. 393-394.