Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
258
LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

ainsi : « À partir du corps, par le moyen du corps, autour du corps, vers elle-même, en elle-même, vers Dieu, chez Dieu. »

Pour monter vers Dieu puis, résider en Dieu, il faut que l’intelligence, se détachant des choses sensibles, délaissant les facultés qui ne se peuvent exercer sans le secours du corps, se réfugie en elle-même (in seipsa) ; ce retour à soi est l’indispensable préparation à l’absorption en Dieu ; c’est la doctrine de Proclus, d’Eckehart, de Tauler que Nicolas de Cues rappelle ici.

C’est précisément lorsque l’esprit est parvenu à cet état où il ne se regarde plus comme uni au corps et soumis au changement, où il se contemple tel qu’il est en lui-même, où il se voit sous forme d’une intelligence pure et immuable, qu’il est apte à concevoir, telles qu’elles sont, les essences des choses.

« Par ces assimilations[1], [qui constituent son habituel procédé de connaissance], notre esprit n’atteint que les concepts des choses sensibles ; en ces concepts, les choses n’ont pas leurs formes véritables ; ces formes sont enténébrées par la variabilité de la matière ; aussi tous ces concepts ne sont-ils que d’incertaines conjectures ; ils portent, bien plutôt sur des images des formes que sur les natures véritables de celles-ci.

» Mais ensuite, lorsque notre intelligence n’agit plus à titre d’esprit immergé dans le corps qu’il anime, mais à titre d’intelligence en soi ; encore que cette intelligence soit capable d’union avec la matière, lorsqu’elle porte son regard sur sa nature immuable, elle ne se représente (facit assimilationes) plus les formes en tant que plongées dans la matière ; mais elle se les représente telles qu’elles sont en elles-mêmes et par elles-mêmes ; elle conçoit les quiddités immuables des choses ; car alors, l’instrument dont elle use, c’est elle-même, et sans aucune inspiration organique. »

Ainsi l’intelligence qui veut atteindre la filiation divine se détachera des choses sensibles qui changent et s’écoulent pour s’attacher uniquement aux choses intelligibles qui sont immuables et éternelles. « Nous qui aspirons à la filiation divine[2], nous ne devons pas nous attacher aux choses sensibles, qui sont seulement des signes et des images du vrai… Alors, en ces choses sensibles mêmes, nous contemplerons les choses intelligibles ; par une sorte de comparaison entre des termes dont l’un est à l’autre dans un rapport transcendant (quadam

  1. Nicolai de Cusa Idiotæ, lib. lïl : De mente ; cap. VII ; éd. cit., pp. 158-159.
  2. Nicolai de Cusa De filiatiane Dei libellus ; éd. cit., t. I, p. 121.