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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/262

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NICOLAS DE CUES

improportionali comparatione), nous nous élèverons ; des choses qui passent et coulent dans le temps, des choses dont l’être consiste dans un flux instable, nous monterons aux choses éternelles, là où toute succession a disparu, et nous demeurerons dans la fixité permanente du repos. »

L’intelligence humaine a donc un mode d’opération par lequel elle ne saisit plus les apparences changeantes, mais les essences immuables ; quand elle opère de la sorte, elle réside en elle-même, hors de la matière, du corps et du temps ; elle se voit elle-même, et en elle-même elle voit tous les intelligibles, auxquels elle est identique ; elle reconnaît alors qu’elle est semblable au Verbe de Dieu, où résident les idées éternelles des choses et qui est identique à ses idées ; maintenant, cette intelligence est vraiment, comme le Verbe, une image de Dieu, un fils de Dieu. « Connaître toutes choses[1], c’est tout simplement voir qu’on est soi-même l’image de Dieu ; et cela, c’est la filiation. »


C. Le postulat fondamental ; l’identité du maximum absolu
et du minimum absolu


C’est donc une intelligence unie à Dieu, devenue fille de Dieu et Dieu même, qui va poser les principes d’un système philosophique.

Or il est une pensée que le Néo-platonisme s’est plu à méditer, et c’est celle-ci : Deux propositions qui nous semblés contraires, et même contradictoires, peuvent être vraies toutes deux à la fois, lorsqu’on les énonce au sujet de Dieu. Denys, dont Nicolas de Cues s’inspire si volontiers, et qu’il cite si souvent, s’était complu dans le développement de cette pensée. Du Bien suprême, écrivait-il[2], on peut dire qu’il est simultanément toutes choses et qu’il n’est aucune de ces choses. Il possède toute forme et toute figure, et cependant il est sans forme et sans figure. Il est immobile en même temps qu’il se meut, et cependant, il n’est ni en repos ni en mouvement.

L’intelligence, donc, que l’extase identifie avec la pensée même de Dieu, ne craindra pas de formuler des assertions où la

  1. Nicolai de Cusa De filiatione Dei libellus ; éd. cit., t. I, p. 126.
  2. Voir : Seconde partie, ch. I, § III ; t. IV, pp. 350-351.