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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/263

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

raison engagée dans les liens du corps croit voir des contradictions. Celle-ci, à son tour, ne se refusera pas à recevoir de tels axiomes si une critique sévère et pénétrante l’a dûment convaincue de l’impuissance où elle se trouve à saisir Fabsolue vérité. L’esprit qui se fie à la rigueur de sa logique repousse toute antinomie avec une impitoyable rigueur ; il prétend y découvrir une contradiction ruineuse pour toute doctrine qui l’énoncerait ; mais l’homme assuré que le vrai nous échappe y voit seulement une thèse et une antithèse dont la vraie science, qui nous est inaccessible, comprendrait la synthèse. Ainsi Hegel s’autorisera quelque jour du criticisme de Kant pour affirmer l’identité des contradictoires. Ainsi Nicolas de Cues s’autorise du nominalisme d’Ockam pour postuler l’axiome qui doit porter sa doctrine.

Il ne s’autorise pas seulement de la faiblesse que la critique nominaliste attribue à la raison ; il s’autorise aussi de l’extraordinaire puissance que son Néo-platonisme prête à l’intuition, à l’intelligence devenue fille de Dieu.

« Dieu[1] est la synthèse de toutes choses, même des contradictoires. — Deum esse omnium complicationem, etiam contradictoriorum. » « Dieu est l’unité absolue[2], qui précède et qui réunit les choses différentes et distantes, telles les contradictoires entre lesquels il n’y a pas de moyen terme (uti sunt contradictoria quorum non est medium). »

Mais si les contradictoires sont compatibles en Dieu, ils le sont aussi dans l’intelligence qui s’est détachée des choses sensibles et changeantes pour contempler les intelligibles éternels, qui est parvenue à la filiation divine. À l’humble raison discursive, elle laissera les lois de la Logique ; pour elle, son intuition l’élèvera bien au-dessus du principe de non-contradiction.

« La Logique[3], dit Algazel, a été mise en nous par la nature, car elle est la force de notre raison ; les êtres animés doués de raison raisonnent donc ; le raisonnement cherche et discoure ; le discours est nécessairement compris entre deux termes, le terme de départ et le terme d’arrivée ; et lorsque ces deux termes s’opposent l’un à l’autre, nous les appelons contradictoires. Ainsi, pour la raison discursive, il y a des termes distincts et opposés. C’est pourquoi, dans le domaine de la

  1. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. I, cap. XXII ; éd. cit., t. I, p. 17.
  2. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. Il, cap. IV ; éd. cit., t, I, p. 27.
  3. Nicolai de Cusa Apologia doctæ ignorantiæ ; éd. cit., t. I, p. 68.