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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/281

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

elle n’est point, en pourra comprendre l’être ? La créature, qui n’est ni Dieu ni néant (nihil), semble être, pour ainsi dire, après Dieu et avant le néant, entre Dieu et le néant ; aussi un sage a-t-il dit : Dieu est opposé au néant par l’intermédiaire de l’être. Et cependant, l’être ne peut être composé d’être et de non-être. La créature, donc, ne paraît ni être, attendu qu’elle descend de l’être, ni non-être, car elle est avant le néant, ni composée d’être et de non-être.

» Notre intelligence ne sait, ni par analyse ni par synthèse, franchir les contradictions ; aussi n’atteint-elle pas l’être de la créature, tout en sachant bien que cet être n’est que par l’Être maximum. »

Rien de moins panthéistique, rien de plus orthodoxe que cette conclusion ; elle ne fait que développer cette parole de Saint Augustin[1] : « Je considérai ensuite toutes les choses qui sont au-dessous de vous, et je reconnus qu’on ne saurait dire ni qu’elles sont absolument, ni qu’absolument elles ne sont pas ; car elles sont, puisqu’elles ont reçu leur être de vous ; et elles ne sont pas, parce qu’elles ne sont pas ce que vous êtes ; en effet, cela seul est vraiment qui demeure sans changement. »

En n’excédant pas les affirmations de Saint Augustin, Nicolas de Cues s’est montré prudent ; Eckehart qu’il admire, dont il s’autorise, dont il prend la défense dans l’Apologia doctæ ignorantiæ, n’avait pas gardé même mesure ; il n’avait pas dit que la créature fût un milieu entre l’être absolu et le néant ; il avait déclaré que la créature est un pur néant. Nicolas de Cues se plaît à demeurer en suspens entre les deux termes d’une antinomie, dont la conciliation lui paraît certaine, bien qu’elle dépasse notre raison ; esprit bien moins souple, Eckehart éprouve le besoin de résoudre cette antinomie dans une affirmation tranchante ou dans une brutale négation.


J. L’Univers est-il fini ou infini


L’étude de l’Univers créé va donner à chaque instant quelque occasion de déconcerter notre intelligence par le miroitement d’une antinomie.

Dès le début de cette étude, le futur évêque de Brixen aborde

  1. S. Aurelii Augustini Confessiones, lib. VII, cap. XI.