elle n’est point, en pourra comprendre l’être ? La créature, qui n’est ni Dieu ni néant (nihil), semble être, pour ainsi dire, après Dieu et avant le néant, entre Dieu et le néant ; aussi un sage a-t-il dit : Dieu est opposé au néant par l’intermédiaire de l’être. Et cependant, l’être ne peut être composé d’être et de non-être. La créature, donc, ne paraît ni être, attendu qu’elle descend de l’être, ni non-être, car elle est avant le néant, ni composée d’être et de non-être.
» Notre intelligence ne sait, ni par analyse ni par synthèse, franchir les contradictions ; aussi n’atteint-elle pas l’être de la créature, tout en sachant bien que cet être n’est que par l’Être maximum. »
Rien de moins panthéistique, rien de plus orthodoxe que cette conclusion ; elle ne fait que développer cette parole de Saint Augustin[1] : « Je considérai ensuite toutes les choses qui sont au-dessous de vous, et je reconnus qu’on ne saurait dire ni qu’elles sont absolument, ni qu’absolument elles ne sont pas ; car elles sont, puisqu’elles ont reçu leur être de vous ; et elles ne sont pas, parce qu’elles ne sont pas ce que vous êtes ; en effet, cela seul est vraiment qui demeure sans changement. »
En n’excédant pas les affirmations de Saint Augustin, Nicolas de Cues s’est montré prudent ; Eckehart qu’il admire, dont il s’autorise, dont il prend la défense dans l’Apologia doctæ ignorantiæ, n’avait pas gardé même mesure ; il n’avait pas dit que la créature fût un milieu entre l’être absolu et le néant ; il avait déclaré que la créature est un pur néant. Nicolas de Cues se plaît à demeurer en suspens entre les deux termes d’une antinomie, dont la conciliation lui paraît certaine, bien qu’elle dépasse notre raison ; esprit bien moins souple, Eckehart éprouve le besoin de résoudre cette antinomie dans une affirmation tranchante ou dans une brutale négation.
L’étude de l’Univers créé va donner à chaque instant quelque occasion de déconcerter notre intelligence par le miroitement d’une antinomie.
Dès le début de cette étude, le futur évêque de Brixen aborde
- ↑ S. Aurelii Augustini Confessiones, lib. VII, cap. XI.