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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/282

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NICOLAS DE CUES

la question qui avait si vivement intéressé tous les maîtres de la Scolastique : L’Univers est-il fini ou infini ? Ses prédécesseurs s’étaient efforcés à l’envi de donner une réponse qui laissât l’esprit satisfait. Ce repos de l’intelligence, l’Ignorance savante se plaît, au contraire, à le troubler[1].

Seul, dit-elle, le maximum absolu est infini, car, seul, il est tout ce qu’il peut être. L’Univers contracté réunit tout ce qui existe hors Dieu ; il n’est pas Dieu ; donc il n’est pas positivement infini.

D’autre part, il n’existe aucun terme qui le borne, en sorte qu’on le peut dire infini, si l’on prend ces mots dans un sens négatif, qui signifie l’absence de limite. Plus exactement peut-on dire que l’Univers, n’est ni fini ni infini.

Dire qu’aucune borne actuellement existante ne termine le Monde, c’est dire qu’il n’y a pas, pour l’Univers, une possibilité d’être qui outrepasse son actuelle existence, c’est dire que l’Univers ne peut être rien de plus qu’il n’est.

Mais alors se dresse devant nous une nouvelle antinomie : La possibilité du Monde ne se laisse pas étendre au-delà de son existence actuelle, en sorte que le Monde ne pourrait être plus grand qu’il n’est ; et, d’autre part, il n’est Monde si grand que Dieu ne puisse en créer un qui fût plus grand ; eu égard à la toute-puissance de Dieu, le Monde pourrait être plus grand qu’il n’est actuellement.


K. Dieu est la synthèse de la création et la création est le développement de Dieu. — La synthèse intellectuelle


Sans s’effrayer de ces continuelles antinomies qu’elle a prévues et que son principe même réclame, l’Ignorance savante poursuit ses pénétrantes investigations sur les rapports de Dieu et de l’Univers créé.

Deux notions se présentent à elle[2], qui s’opposent l’une à l’autre : la notion de synthèse ou d’implication (complicatio), et la notion de développement (explicatio).

Tout nombre n’est qu’une répétition, un développement de l’unité. D’autre part, l’unité, qui est le principe de tout nombre,

  1. Nicolai de Cusa De docta ignoraritia, lib. II, cap. I ; éd. cit., t. I, p. 24.
  2. Nicolai de Cusa De docta ignoraritia, lib. II, cap. III ; éd. cit., t. I, p. 26-27.