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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/299

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

s’agit : « Aucune supposition ne me paraît plus probable que celle-ci : L’essentiæ qui se trouve dans notre nature [créée] offre l’image du Père, la virtus celle du Fils, l’operatio celle du Saint-Esprit. »

Chrypfs, au contraire, fait correspondre le Père à la possibilitas, c’est-à-dire à la δύναμις et le Fils à l’actus, c’est-à-dire à l’ἐνέργεια ; quant au Saint-Esprit, il l’assimile à la connexion qui rapproche l’acte de la puissance, l’ἐνέργεια de la δύναμις dans la génération de la substance, de l’οὐσία.

Cette remarque, qui semble propre à démontrer que Nicolas de Cues ne se souciait pas des enseignements de l’Érigène va nous servir à étayer l’affirmation toute contraire. N’aurons-nous pas, en effet, une bien forte preuve de la séduction que la doctrine du fils d’Érin exerçait sur le philosophe de Cues, si nous voyons celui-ci délaisser, dans certains cas, le système qu’il avait conçu touchant la Sainte Trinité, pour adopter la supposition, et jusqu’au langage du De divisione naturæ ?

Or c’est le spectacle que nous offre le traité : De dato Patris luminum. Nous y lisons [1] que : « Toutes choses ont essence (essentia) dans le Père, puissance (potentia) dans le Fils, et opération (operatio) dans l’Esprit-Saint. » Et tandis que le traité De possest donnait [2], de la doctrine habituelle de Nicolas de Cues, cette formule aussi concise que précise : « Ut Filius sit quod Pater possit…, a quibus procédât omnipotentiæ et omnipotentis nexus », nous entendons maintenant cette proposition que Jean Scot eût contresigné : « Pater est, Filius potest, Spiritus operatur omnia in omnibus. »

Remarquons enfin que, par deux fois [3], dans son Apologie de la docte ignorance, le Cardinal allemand met le Περὶ φύσεως μερισμοῦ de Joannes Scotigena au nombre des livres qu’il admire, et nous n’hésiterons plus à compter l’Érigène au nombre des maîtres dont Nicolas Chrypfs a été le disciple.


O. Les éléments et les mixtes


En particulier, Jean Scot a très certainement fourni à la Docta ignorantia les principes de la théorie qu’elle développe au sujet des éléments et des mixtes.

  1. Nicolai de Cusa De dato Patris luminum, cap. V ; éd. cit., t. I, p. 289.
  2. Nicolai de Cusa Trialogus de possest ; éd, cit., t. I, p. 260.
  3. Nicolai de Cusa Apologia doctæ ignorantiæ ; éd. cit., t. I, p. 70 et p. 73.