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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/313

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

« Nous ne pouvons percevoir le mouvement[1] que par comparaison avec un repère fixe, centre ou pôles ; dans la mesure des mouvements, nous présupposons la fixité de ces points ; dès lors, réduits à régler notre marche à l’aide des conjectures, nous nous apercevons que nous errons en tout. Et nous nous étonnons quand nous ne trouvons point d’accord entre les positions qu’occupent les étoiles et celles que leur assignent les règles des Anciens, parce que nous croyons qu’ils ont conçu des idées justes touchant les centres, les pôles et les mesures. »

« Si, du mouvement de l’Univers [2], vous voulez comprendre autre chose que ce qui a été dit jusqu’ici, il vous faut combiner le centre et les pôles, en vous aidant de l’imagination autant que faire se peut.

» Supposez qu’un homme s’élève fort au-dessus de la terre dans la direction du pôle arctique ; qu’un autre descende fort au-dessous de la terre dans la direction du pôle austral. Ainsi que l’homme placé sur terre voit le pôle au zénith, ainsi celui qui se trouverait au pôle verrait la terre au zénith. Et de même que nos antipodes ont, tout comme nous, le ciel au-dessus d’eux, de même, nos hommes placés aux pôles verraient tous deux la terre au zénith. Et en quelque lieu qu’un homme se trouve, il s’imaginera qu’il est au centre.

» Réunissez donc par la pensée ces diverses imaginations où le centre devient zénith et inversement ; alors, votre intelligence, qui possède seule l’ignorance savante, verra qu’il est impossible d’atteindre à la connaissance du Monde, de sa figure et de son mouvement ; le Monde, en effet, vous apparaîtra comme une roue dans une roue, comme une sphère dans une sphère ; vous reconnaîtrez, comme nous l’avons dit plus haut qu’il n’a nulle part ni centre ni circonférence. »

L’ignorance savante a rongé de sa critique la science la plus parfaite que l’observateur connût au temps de Nicolas de Cues, l’Astronomie ; et elle a conclu au scepticisme sans pitié.

Peut-être serait-il plus exact de dire que le scepticisme astronomique a été le point de départ de l’ignorance savante.

Dès 1436, Nicolas de Cues avait présenté au Concile de Bâle son Traité de la réforme du calendrier. Cette réforme ne pouvait être faite d’une manière valable si l’on ne possédait une exacte détermination de la durée de l’année tropique. Or Hipparque,

  1. Nicolas de Cues, loc. cit. ; éd. cit., t. I, p. 38.
  2. Nicolas de Cues, loc. cit. ; éd. cit., t. I, p. 39.