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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/315

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

il répondra à cette question qu’il y a, dans le Ciel, un mouvement inconnu. Thébith a mis l’empêchement qui nous arrête dans l’imperfection de l’humaine raison et des instruments. Alpétragius, prenant la suite de l’opinion d’Aristote, réfute les opinions que Ptolémée et tous les autres ont émises touchant les excentriques et les épicycles ; en outre, il sauve les apparences en supposant que toutes les sphères sont concentriques. »

Accumuler ainsi toutes les raisons, légitimes ou non, qu’on pouvait faire valoir contre la certitude de l’Astronomie, c’était, pour recommander aux Pères de Bâle la réforme du calendrier, prendre un moyen fort singulier ; Jean de Murs, Firmin de Belleval, Pierre d’Ailly avaient tenu un autre langage, et plus convaincant. Quoi qu’il en soit, nous voyons, dès 1436, s’affirmer le scepticisme astronomique du futur Cardinal allemand. Pour s’exprimer, ce scepticisme use d’une comparaison géométrique ; la connaissance exacte des mouvements astronomiques est comme l’évaluation du rapport entre la surface du cercle et le carré du rayon ; l’esprit humain en peut approcher de plus en plus ; mais jamais il ne saurait atteindre exactement la limite. Or cette image est précisément celle dont il se sert, quatre ans plus tard, pour définir l’ignorance savante ; « l’esprit, dit-il[1], se Comporte à l’égard de la vérité comme le polygone à l’égard du cercle ; plus le polygone a d’angles, plus il est semblable au cercle ; jamais, cependant, il ne lui devient égal, lors même qu’il multiplierait indéfiniment le nombre de ses angles. »

Il semble donc bien vrai que l’ignorance savante de Nicolas de Cues ait été l’extension au domaine entier de la connaissance humaine des doutes suggérés par les théories diverses et imparfaites de la précession des équinoxes.

L’auteur du Tractatus de reparatione Kalendarii nous dit, d’ailleurs, quelle lecture lui a suggéré cette pensée : La science exacte dépasse l’esprit humain qui en peut approcher de plus en plus sans jamais l’atteindre. C’est la lecture d’écrits où se développait cette autre pensée : Les durées des divers mouvements célestes peuvent être incommensurables entre elles ; l’observation astronomique, dont les résultats ne sont jamais qu’approchés, ne nous permet pas de décider si elles sont commensurables ou non. Nous savons [2] que cette idée était déjà connue de Pierre d’Abano et de Duns Scot ; nous savons que

  1. Nicolai de Cusa De docta ignorantia lib. I, cap. III ; éd. cit., t. I, p. 3. — Vide supra, p. 00.
  2. Voir : Cinquième partie, ch. XIV, § II et § III, p. 448.