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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/322

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NICOLAS DE CUES

permis de penser qu’il avait reconnu lui-même à quel point elle était défectueuse.

Mais, d’autre part, il serait excessif de lui en faire un titre de gloire, et de le mettre, à cause d’elle, au rang des précurseurs de Copernic. Entre le système de Copernic et le système dont Clemens a retrouvé la trace, il y a cette ressemblance qu’ils admettent tous deux le mouvement de la terre, mais il n’y en a pas d’autre ; le mouvement que Nicolas de Cues donne à notre globe n’est point du tout celui que lui attribuera le Chanoine de Thorn. Or, le mouvement de la terre, aussi nettement que dans la note manuscrite de l’hôpital de Cues, on le trouvait affirmé dans la Docta ignorantia ; celle-ci a certainement contribué à préparer la révolution copernicaine ; celui-là, s’il eût été divulgué par son auteur, n’eût point rendu cette contribution plus efficace.


V
LA PLURALITÉ DES MONDES HABITÉS


Si Nicolas de Cues mérite d’être compté parmi les précurseurs de Copernic, c’est bien moins par ce qu’il a dit du mouvement de la terre que par ses réflexions sur la pluralité des Mondes. Au Ciel suprême, ôter le mouvement diurne pour l’attribuer à la terre, ce n’était ni fort audacieux ni fort utile.

Ce n’était point fort audacieux. D’Héraclide du Pont à Nicole Oresme, il s’était rencontré, presque à toutes les époques de l’histoire de la Science, des hommes qui aimaient mieux attribuer le mouvement diurne à la terre que de le mettre au Ciel. En particulier, durant la seconde moitié du xive siècle, Nicole Oresme, Jean Buridan, Albert de Saxe, Pierre d’Ailly, après avoir soigneusement discuté cette hypothèse, avaient pris parti pour ou contre.

Ce n’était point fort utile. La simple substitution de la rotation de la terre à la rotation du Ciel dans l’explication du mouvement diurne ne simplifiait aucunement les théories astronomiques ; elle laissait le problème du mouvement des astres errants’exactement dans l’état où elle l’avait pris. C’est précisément ce qui empêchait, au xive siècle, bon nombre de maîtres parisiens de se rallier à l’hypothèse du mouvement diurne de la terre.