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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/330

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NICOLAS DE CUES

Devant lui, sur le sol, des quilles sont disposées suivant les contours d’une spirale ; en roulant, le globe doit décrire cette spirale et abattre les quilles. Le seigneur qui va lancer le globe, c’est Jean, duc de Bavière ; le jeu auquel il se livre va provoquer, entre le Cardinal et lui, un échange de pensées philosophiques.

Ce jeu n’était pas nouveau ; on y jouait au temps d’Aristote ; du moins, a-t-il attiré l’attention de l’auteur des Problèmes qu’on a mis au compte du Stagirite.

La collection des Problèmes nous est parvenue dans un assez grand désordre ; l’une des preuves les plus palpables de ce désordre est assurément la suivante : La seizième question contient deux fois le même problème ; il occupe le troisième rang, puis le douzième ; à peine quelques mots diffèrent-ils, ici et là, dans l’énoncé comme dans la solution.

« Si l’on prend, dit l’auteur[1], un corps d’inégale épaisseur et si l’on imprime un mouvement à la partie la plus légère de ce corps, d’où vient que ce projectile tournoie sur lui-même ? » « C’est, ajoute-t-il, ce que nous voyons arriver aux osselets lestés de plomb (μεμολιβδωμένοι ἀστραγάλοι) lorsqu’on les lance en tournant en dedans la partie la plus légère. »

Les traducteurs ont été embarrassés pour dire en latin quel était le jouet nommé ἀστρὰγαλος μεμολιβδωμένος par Aristote ; l’ancienne traduction dont Pierre d’Abano faisait usage[2] le nommait un sabot plombé (trochus plumbatus) ; Théodore de Gaza l’appelle un dé chargé de plomb (tolus obplumbatus).

« Par sabot (trochus), remarque à ce propos Pierre d’Abano [3], on n’entend point ici ce morceau de bois en forme de cylindre avec lequel jouent les enfants ; c’est bien plutôt un corps arrondi selon sa plus haute surface, présentant deux faces presque planes, dont une est, toutefois, plus renflée que le reste (corpus rotundum secundum superficiem altiorem, planum vero fere in lateribus duobus, ita tamen quod in latere ipsius sit tumerositas aliqua major quam in reliquo) ; en d’autres termes, c’est la pièce de bois nommée capuchon (coculla) avec laquelle jouent les habitués de cabarets (camponarii). »

  1. Aristotelis problemata, sect ; XVI, probl. 3 et probl. 12. (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. IV, p. 198 et p. 201 ; éd. Becker, t. II, p. 913, col. a et b, et p. 215. col. b.)
  2. Problemata Aristotelis cum duplici translatione antiqua videlicet et nova scilicet Theodori gaze : cum expositione Petri Aponi… Impressa Uenetiis per Bonetum Locatellum presbyterum. Anno Salutis 1501. Fol. 159, col. d, fol. 160, col. a, et fol. 164, col. c et d.
  3. Pierre d’Abano, loc. cit., probl. III ; éd. cit, , fol. 159, col. d.