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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/341

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

du mouvement de rotation ; il y est exactement imprimé comme, dans la toupie qui tourne par violence ; plus est pesante la matière de cette toupie, mieux elle reçoit en elle le mouvement imprimé par la force externe, et plus durable est ce mouvement ; au contraire, les plumes et les autres corps de semblable légèreté, qui n’opposent aucune résistance, ne reçoivent pas aisément le mouvement ; ils ne sauraient servir de projectiles aux frondes et aux machines de guerre. »

Ces propos sont l’écho très fidèle de ceux de Jean Buridan ; nous y retrouvons les notions de masse et de densité telles que nous les avons entendu définir par le Maître parisien[1].

C’est encore Jean Buridan, soit d’une, façon directe, soit par l’intermédiaire de son disciple Albert de Saxe, qui dicte les lignes suivantes [2] :

« Les enfants savent fort bien faire tourner un toton de telle façon qu’il demeure dans une position bien déterminée ; le mouvement de ce toton est d’autant plus régulier et plus uniforme que l’impulsion reçue a été donnée avec plus de soin ; une fois mis en mouvement par l’impetus qu’il a reçu, ce toton effectue sur lui-même un grand nombre de révolutions ; mais il est heurté par les inégalités de la table, par le choc de l’air ; son propre poids triomphe de lui ; aussi son mouvement s’alanguit-il peu à peu, et le toton finit par tomber.

» Dieu n’a-t-il pas pu, lui aussi, au commencement des temps, produire en la terre, comme de l’extérieur, une semblable impression ? C’est cette impression qui aurait causé toutes les rotations ultérieures de la terre ; c’est elle qui les entretiendrait encore aujourd’hui, bien que leur nombre surpasse déjà deux millions ; cette impression garde, en effet, toute sa vigueur parce que la rotation de la terre n’est gênée ni par le choc d’aucune aspérité extérieure, ni par le fluide éthéré qui est dépourvu de densité ; elle n’est gênée non plus par aucun poids, par aucune gravité interne ; quant à l’inertie de la matière, elle est le sujet même qui reçoit l’impetus et qui le conserve afin que la rotation se continue. »

Qu’a fait Képler ? À Jean Buridan, il a textuellement emprunté la loi d’inertie, telle que le vieux Maître parisien l’avait conçue : cette loi, Jean Buridan l’appliquait aux orbes célestes ; en vertu d’une impulsion initiale et de ce principe de l’inertie,

  1. Voir : Cinquième partie ; ch. X, § XI, t. VIII, p. 206.
  2. Joannis Kepleri Opera, éd. cit., t. III, p. 176.