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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/373

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

Il converse avec les Antiques comme avec ses familiers. Il ne vit plus chez les vivants, il vit chez les morts. « Des hommes actuels, écrit-il[1], la seule vue me blesse gravement ; tandis que les souvenirs, les noms illustres des Anciens me causent une joie profonde, magnifique et si inestimable que si le monde le pouvait savoir, il s’étonnerait de ce que je me plaise tant de converser avec les morts, et si peu avec les vivants. » Lorsque, sur sa route de pèlerin, se dresse la silhouette d’un couvent, il frémit à la pensée que ce couvent renferme un texte antique…

» Et cette Antiquité qui l’obsède est une Antiquité saisie sous un nouvel aspect, une Antiquité rajeunie, filtrée du Moyen Âge, dont la science d’école lui inspire un souverain mépris. Il déclare ouvertement la guerre aux juristes, aux médecins, aux astrologues, aux grammairiens, aux théologiens, non seulement par la voix, mais par l’exemple de sa vie, qui est toute une protestation… »

« Les belles réminiscences[2], les beaux gestes, les belles attitudes, les belles idées, les belles paroles l’assaillent, le remplissent, le grisent, l’émeuvent jusqu’aux larmes, et il va. Chez lui, la forme et le fond ne vivent plus d’une vie adéquate ; mais la forme domine le fond que souvent elle précède, empêche et étrangle. »

Comment un esprit ainsi tourné eût-il pu comprendre les maîtres de la Scolastique, désireux jusqu’à l’anxiété de pénétrer le fond des choses et de le décrire avec la dernière rigueur, mais dédaigneux outre toute mesure de la forme dont ils revêtaient leur pensée ? Comment eût-il accordé la moindre sympathie à cette pensée qui se développait suivant l’ordre figé des discussions d’école, qui s’exprimait en un style sec, incolore, impersonnel, qu’une foule de termes techniques hérissaient de leurs barbarismes énormes ? Comment eût-il admis que la recherche du vrai pût être, à ce point, indifférente à la beauté ? Comment eût-il révéré l’enseignement abstrus des facultés de Théologie, celui qui disait[3] : « Sans doute, les lettres ne renferment pas le salut, mais en elles, bien des gens ont trouvé et trouvent encore la voie du salut ? »

  1. Francisi Petrarcæ Epistolæ familiares, lib. VI, epist. 4 ; éd. cit., vol. I pp. 337-338.
  2. Philippe Monnier, loc. cit., p. 137.
  3. Francisi Petrarcæ Epistolæ familiares, lib. XVII, epist. I ; éd. cit., p. 410, vol. II.