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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/374

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LA PENSÉE ITALIENNE AU XIVe SIÈCLE

« Les Anciens, écrit-il â son frère[1], avaient accoutumé de gagner Athènes lorsqu’ils voulaient étudier, du moins jusqu’au jour où Rome, source de la force militaire et de l’empire, le devint aussi des belles lettres. Dé nos jours, c’est à Paris ou à Bologne qu’on se rend, à Bologne où, tu t’en souviens, nous sommes allés, nous aussi, dans notre jeunesse… Ainsi la vie laborieuse des humains s’impose avec avidité des voyages coûteux et pénibles, elle ne recule devant aucune fatigue pour recueillir quelque partie d’une Philosophie gonflée de vent ou bien l’insidieux bavardage du Droit ; à puiser chacune de ces connaissances, elle épuise la totalité de sa jeunesse, car elle ne réserve pas un instant à de plus dignes soins…

» Car je ne voudrais pas que tu la prisses pour la Philosophie véritable, cette philosophie qu’en une seule ville, professent mille personnes ; le bien n’est pas si commun que le croit la multitude. Cette philosophie qui est, sous nos yeux, prostituée au vulgaire, que veut-elle ? Que, jusqu’à l’anxieuse sollicitude, se préoccupent de questionnéttes et de querelles de mots, des gens dont l’ignorance est, en général, non moins assurée et, peut-être, plus assurée que la science. On laisse la vérité tomber dans l’oubli, on néglige les bonnes mœurs, on méprise les objets mêmes de cette noble philosophie que nul ne trouve en défaut ; on ne prête attention qu’à des mots vides. »

Il est, chez les philosophes de l’École, une prétention qui met Pétrarque hors de lui ; c’est qu’ils osent se donner pour disciples d’Aristote, pour imitateur d’un de ces Anciens que notre humaniste vénère si fort. « Ils disent[2] qu’Aristote avait accoutumé de discuter de la sorte… Mais ils se trompent. Aristote, homme d’un génie ardent, traitait des sujets les plus élevés, tantôt par la discussion orale, tantôt dans ses écrits… Pourquoi donc ces gens-là s’écartent-ils si complètement de la voie suivie par leur chef ? Quel plaisir éprouvent-ils à se dire Aristotéliciens ? Comment ce titre ne leur fait-il point de honte ? Rien de moins semblable à ce grand philosophe qu’un homme qui n’écrit rien, qui comprend peu, qui crie beaucoup et sans utilité. »

« Mon ami[3], je ne te dirai que ce seul mot : Si tu poursuis la vérité et la vertu, évite les gens de cette espèce. »

Parmi ces docteurs scolastiques qu’il déteste, il en est que Pétrarque poursuit d’une exécration particulière ; ce sont les

  1. Pétrarque, loc. cit., vol. II, pp. 411-412.
  2. F. Petrarcæ Op. laud., lib. I, epist. VI ; ed. cit., vol. I, pp. 54-55.
  3. F. Pétrarque, loc. cit., p. 54.