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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/375

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

dialecticiens fournis par l’École d’Oxford. « Où fuir loin du regard de ces fous, s’écrie-t-il[1], si les îles mêmes ne sont pas un sûr refuge ? Ni Charybde ni Scylla n’auraient donc empêché cette peste de passer en Sicile ? Que dis-je ! C’est un mal qui frappe particulièrement les îles, puisque le bataillon etnéen de nos nouveaux cy dopes est venu grossir l’armée britannique des dialecticiens. Est-ce donc pour cela que j’avais lu dans la Cosmographie de Pomponius que la Grande-Bretagne ressemble beaucoup à la Sicile. C’était, pensais-je, parce que ces terres sont disposées de même façon, qu’elles sont, toutes deux, de figure à peu près triangulaire, peut-être parce qu’elles sont constamment battues par les flots qui les entourent. Je ne pensais pas aux dialecticiens. J’avais entendu dire que la Sicile avait été habitée d’abord par des Cyclopes, puis par des tyrans, ceux-ci féroces comme ceux-là ; mais j’ignorais la venue de monstres d’un nouveau genre, armés de l’enthymème à deux tranchants et passant, par leur impudence, les ardeurs de la plage de Taormine. »

Comment François Pétrarque, épris des mots harmonieux qui charment l’oreille, des belles formes qui ravissent l’imagination, eut-il pu supporter les subtiles analyses par lesquelles un Duns Scot dissocie d’innombrables formalités pour les affubler de noms techniques qui sont autant de cacophoniques barbarismes ? Comment n’eut-il pas été rebuté par le Nominalisme d’un Ockam dont la rigide concision ne craint aucune brutalité pourvu qu’elle dissipe tout faux-fuyant et tout malentendu ? Comment n’eût-il pas pris en horreur un Robert Holkot qui met toute la Théologie en problèmes d’algèbre ? Contre la Dialectique d’Oxford, il inaugure cette lutte sans merci que l’Humanisme poursuivra encore au temps de Louis Vivès et qui couvrira la Scolastique tout entière du ridicule dont elle accablera la Logique anglaise.

Pétrarque nous apprend, d’ailleurs, que cette peste, comme il la nomme, avait, de son temps, passé d’Angleterre en Sicile. Peut-être pouvons-nous soupçonner les noms de ceux qui l’y avaient importée ou, du moins, de quelques-uns d’entre eux. C’était, sans doute, un argumentateur audacieux, et subtil que ce Gérard d’Odon, ancien prieur général de l’ordre franciscain, qui vint s’asseoir, le 27 Octobre 1342, sur le siège archiépiscopal de Catane et qui l’occupa jusqu’à l’année 1348, où il fut nommé

  1. F. Petrarco Op. laud., loc. cit., p. 54.