Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/376

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
373
LA PENSÉE ITALIENNE AU XIVe SIÈCLE

patriarche d’Antioche. C’était, certainement, un dialecticien subtil que ce Nicolas Bonet, né à Messine, disciple de François de Meyronnes, le maître des formalités, souvent apparenté à Gérard d’Odon par ses doctrines, et qui, sans doute, professa l’essentialisme dans son pays natal avant d’être, le 27 Novembre 1342, nommé à l’évêché de Malte ; Gérard d’Odon, Nicolas Bonet figuraient, sans doute, au nombre de ces modernes cyclopes dont la férocité plongeait dans l’épouvante le chantre délicat de Dame Laure ; douce épouvante, d’ailleurs, puisqu’elle donnait prétexte à notre humaniste d’étaler son érudition et de faire, en phrases cicéroniennes, pétiller son bel esprit[1].

Les Humanistes n’auront pas seulement horreur de la dialectique anglaise ; ils poursuivront également Averroès d’une véritable haine. Pour ceux d’entre eux qui sont sincèrement chrétiens ou qui font mine de l’être, Averroès est un monstre d’impiété ; il ne profère que des blasphèmes. Pour ceux qui tentent de faire revivre le Platonisme, qui proclament la supériorité de Platon sur Aristote, il est le défenseur du Péripatétisme le plus intransigeant, le fanatique admirateur du Stagirite. Pour tous, il est l’homme dont la doctrine cherche uniquement la solidité des principes, et la rigueur des raisonnements sans se soucier le moins du monde des images attrayantes et du beau langage.

Des attaques contre Averroès, c’est encore Pétrarque qui donne le signal. Après avoir énuméré au dialecticien qu’il invective[2] les discordances des philosophes au sujet des plus grands problèmes, il ajoute : « Il s’est trouvé quelqu’un pour oser dire chose plus étrange encore, car il a proclamé l’unité de Tintelligencé ; c’est votre chef Averroès,… cet Averroès qui impunément diffama le Christ, ce qu’aucun poète ne fit jamais. ».

Les sophismes d’Oxford, les impiétés d’Averroès, voilà les deux principaux griefs que Pétrarque et ses successeurs font valoir contre la Scolastique.

Pétrarque avait, peut-on dire, désigné aux Humanistes le but que devaient viser leurs plus rudes coups ; la Dialectique de l’École d’Oxford allait être la cible que frapperaient de préférence les traits décochés par ces beaux esprits ; si les subtiles

  1. Voir, à ce sujet, l’Invective intitulée : « En quoi la Dialectique est nécessaire à l’homme ; qu’il est fou de vieillir en cette étude ; éloge de la Philosophie qui ne petit être vendue ; que l’adversaire ressemble à une huppe plutôt qu’à un philosophe. » ( Francisci Petrarcæ Invectivarum lib. II, cap. XVII.)
  2. Francisci Petrarcæ Invectivæ, loc. cit.