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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/378

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LA PENSÉE ITALIENNE AU XIVe SIÈCLE

accru l’amour qu’il éprouvait déjà pour ce grand philosophe. Ce qu’il admire en lui, est-ce la doctrine ? Il n’en dit mot. Ce qu’il vante en son auteur, c’est « la grande urbanité, la mesure parfaite avec laquelle la discussion est menée le charme merveilleux des interlocuteurs, les incroyables ressources du langage. Dans le discours, se remarque une suprême facilité et, comme disent les Grecs, une admirable ; rien qui sente la sueur, rien de violent. »

Bruni n’est point exclusif ; son amour pour Platon ne l’empêche pas d’admirer Aristote ; il écrit une vie très érudite du Philosophe ; il en traduit l’Éthique et la Politique ; dans l’accomplissement de ce travail, il a soin de « rejeter la barbarie des mauvais traducteurs[1] ; les pensées de l’auteur, il les exprime presque mot à mot, et cependant de telle façon que les Latins les puissent aisément entendre. »

Bruni est admirateur d’Aristote ; mais combien il diffère des Péripatéticiens qui disputent alors dans les Écoles ! Il ne semble pas fort préoccupé des doctrines qui sont au fond de la pensée du Stagirite ; mais il se montre grandement soucieux de la forme que cette pensée a revêtue.

On a osé dire qu’Aristote n’était pas éloquent ; il s’en indigne[2]. Aristote, à son gré, « avait si grand souci de l’éloquence, que la recherche et la poursuite des artifices les plus menus sollicitaient ses efforts. Avant lui, je vous prie, quelqu’un avait-il montré que la quantité des pieds et des syllabes se doit observer même en prose ?… À mon sens du moins, je ne vois pas comment les sujets dont Aristote a traité pourraient être exposés dans une langue plus précise, plus agréable ou plus abondante. Lisez ses livres ; non pas seulement ceux qui traitent de Morale ou de Politique, où l’éloquence est plus suivie, mais ceux mêmes qui traitent de Physique ou de Métaphysique ; vous y rencontrerez des passages qui ne prêtent aucunement à l’éloquence et qu’il a très éloquemment traités ; vous verrez que son éloquence a mis de l’éclat et de la clarté dans les questions les plus obscures. »

Ce qui intéresse Bruni dans la Physique ou dans la Métaphysique, ce n’est point la profondeur ou la solidité des thèses qu’Aristote y soutient ; c’est la perfection de la langue dont il use pour les soutenir.

  1. Oratio Pogii Bracciolini.
  2. Leonardi Bruni Epistolarum lib. IV, epist. XVI ; éd. cit., pp. 144-149.