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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/391

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

« Durant la seconde Grande Année, verra-t-on revenir un mouvement du Ciel qui soit numériquement identique au mouvement accompli durant la première Grande Année, ou bien n’aura-t-il, avec celui-ci, qu’une identité spécifique ? Dans le premier cas, la seconde Grande Année sera la première Grande Année ; le raisonnement conclut évidemment, car le temps est conséquence essentielle du mouvement du Ciel, comme le prouve le Commentateur au quatrième livre des Physiques. Dans le second cas, toutes choses, durant la seconde Grande Année, ne seront pas numériquement identiques à ce qu’elles furent dans la première ; elles leur seront seulement semblables. »

Ockam et Nicolas Bonet n’eussent pas hésité, dans le premier cas, à concéder qu’un temps présent peut être identiquement et numériquement le même qu’un temps déjà passé.

« Durant la seconde Grande Année, poursuit Nicoletti, le père de Platon engendrera de nouveau le même Platon ; le fera-t-il d’une manière contingente ou d’une manière nécessaire ? Dans les mêmes écoles, le même Platon instruira les mêmes disciples ; sera-ce d’une manière contingente ou d’une manière nécessaire ? Si c’est d’une manière contingente, l’opinion de Platon est fausse ; car alors on ne peut savoir par voie naturelle si ces choses se feront ou non. Si ce n’est pas d’une façon contingente, tout arrivera donc nécessairement ; cela supprime tout libre arbitre, toute délibération, ce qui est absurde. »

En outre, Platon enseigne au Timée que l’âme du juste ira goûter la félicité dans quelque étoile ; faudra-t-il qu’au bout d’une Grande Année, elle en redescende pour retrouver, dans un corps, la misérable condition des humains ?

Contre la théorie de la Grande Année, ce sont les objections d’Origène et de Saint Augustin que nous retrouvons sous la plume de Paul de Venise ; mais celui-ci prend soin d’en effacer les origines chrétiennes, d’en appeler seulement à l’autorité des Philosophes.

La doctrine platonicienne condamnée, Paul en vient à celle d’Aristote [1].

La seconde opinion fut celle d’Aristote. Celui-ci prétend qu’aucun être détruit d’une destruction complète ne reviendra numériquement identique à ce qu’il fut ; un être reviendra seulement qui sera spécifiquement le même ; jamais, en effet,

  1. Voir : Première partie, ch. IV, § V ; t. I, pp. 168-169.