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toujours dans votre poche ! Ne le perdez pas… J’y veillerai d’ailleurs.

Minuit sonna dans le calme solennel de cette admirable nuit d’été. De quelques fenêtres ouvertes montait le concert nocturne des bestioles des jardins. Au loin, dans un étang, des grenouilles croassaient, et les toits, baignés de lune, semblaient n’abriter que du bonheur.

Pourtant, un bruit sinistre troubla sourdement le silence. Confus d’abord, on perçut bientôt le rythme d’un galop effréné, et des stridences d’acier déchirèrent les airs. Ce bruit se rapprocha, s’enfla jusqu’à devenir un tonnerre, et le coup de fusil qui partit — sans doute d’une de nos sentinelles — mit sur ce grondement la sécheresse d’un coup de fouet.

Ce fut le signal de l’horrible. Une mitrailleuse égrena sur la route son chapelet macabre, l’air s’emplit de cris inhumains et surhumains et les Lebel firent une terrible besogne. Un instant, nos soldats se crurent vainqueurs et déjà, les hommes se félicitaient de leur succès, lorsque des uhlans débouchèrent à droite et à gauche de nos forces, cernant le village et allumant les premiers incendies.

Quand l’aube se leva, des maisons brûlaient, des blessés hurlaient sous les ruades des chevaux agonisants, et des gamins demi-nus fuyaient devant la botte et la baïonnette des Germains. Les femmes se groupaient en théorie lamentable : tandis que les