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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

« Un libraire est un animal dont le goût est châtré, il ne décide du mérite d’un manuscrit que par la pesanteur du papier. « Cet ouvrage, dit-il, me donnera deux volumes ; je vendrai la moitié de l’édition à des sots, parce qu’il y a naturellement plus de sots que de gens d’esprit ; par cet arrangement, j’aurai la maculature de profit ». — Je t’aime, tu me parais original… attends-moi, je passe un moment chez le fermier. »

J’allai donner des ordres à ma ferme ; je menai le mendiant à la salle. « As-tu faim, as-tu soif ? » lui dis-je. — Hélas ! madame, il y a trois ans que ces deux maladies m’étranglent. » Je fis apporter un gigot, cet homme le dévora avec un appétit incroyable ; je fis servir des fraises : ma femme de chambre examina ce gueux, le reconnut, et sauta à son col, en s’écriant : « Ah ! cher Xan-Xung ! — Ah ! chère Lucrèce ». — « Ô Ciel, dit ma femme de chambre, dans quel équipage te vois-je !… par quel hasard… mon bon ami… » Lucrèce versait des larmes. Je demandai à ce pauvre, si cette fille était sa parente. — « Non, madame, elle a seulement eu la tendresse de m’allier à sa famille. » — « Cher Xan-Xung, dit Lucrèce, en embrassant encore le mendiant, que ton sort est changé !… que j’ai pensé de fois à toi, mon cher Tranquille !… où sont ces beaux jours où tu me jurais une tendresse éternelle ? J’ai demandé partout de tes nouvelles, personne n’a pu m’apprendre où tu étais… ah ! cher ami… » Lucrèce n’était pas effrayée du triste état de ce malheureux.