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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

je commandai une tourte de frangipane ; le lendemain je proposai tout naturellement à Mlle Lucrèce de venir la manger avec moi ! Ses amoureux n’avaient jamais rien proposé de pareil ; Lucrèce ne put tenir contre la tourte de frangipane. Elle vint à l’heure assignée, mangea la tourte ; et dès qu’elle fut engloutie, elle m’accorda ce qu’elle avait accordé aux autres. J’étais flatté d’avoir une jolie fille à si bon marché. Pendant deux mois je l’accablai de dragées et de friandises : le jardinier, l’épicier, le boulanger et le garçon apothicaire n’avaient plus rien, elle trouvait tout dans son nouvel amant, elle se croyait heureuse.

Pour trouver l’occasion de voir plus aisément ma maîtresse, je fis connaissance avec son père ; ce brave gentilhomme aimait à parler des États de sa province, des beaux privilèges de la Bretagne, et surtout de l’histoire du catéchisme de M. de Vauréal[1]. Il me prit en amitié ; je continuais d’accabler la fille de bonbons dans le dessein de la rendre malade. J’avais pénétré la beauté de son caractère ; je lui trouvais de l’esprit, elle n’avait d’autre défaut que la gloutonnerie, j’avais pour principe que

  1. M. de Vauréal, évêque de Rennes, avait fait un nouveau catéchisme où l’on citait les vertus cardinales. On parla de ce catéchisme chez le président des États ; on demanda ce que c’était que les vertus cardinales ; neuf évêques et six abbés commandataires, qui se trouvaient à table, ne purent répondre. Un vieux gentilhomme bas breton satisfit à la question. Le père de Lucrèce me contait cette histoire régulièrement trois fois la semaine.