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NOTRE VILLE

connaissais, avant de le retrouver ici, un homme de très bonne compagnie dont la bonté et la délicatesse allaient jusqu’à la timidité. Extrêmement bien élevé, grand seigneur dans l’âme, il s’est souvent laissé imposer la volonté d’autrui simplement parce qu’il ne savait pas dire « non ». Dès son arrivée au camp, il s’est adonné aux travaux les plus rudes et, comme il est robuste, il s’est complètement métamorphosé. À présent, le voici qui dit fermement ce qu’il pense et qui, pour refuser, n’hésite pas, quand les circonstances l’exigent, à employer un mot aussi net que celui de Cambronne. Quand il rentrera dans la vie civile, je suis sûr qu’il étonnera beaucoup de ses amis et, pour commencer, sa femme.

Comme on le voit, si le fait d’être interné crée une souffrance réelle, cette souffrance ne vient pas de l’existence matérielle faite aux internés. Les autorités, au contraire, s’efforcent de rendre cette condition aussi acceptable que possible. À certains égards, on peut même dire qu’elle ne manque pas de quelque agrément. Le bonheur n’est que comparaison. On sait cela et notre sort, comparé à celui de tant d’autres humains, peut être considéré par un esprit froid comme enviable.

Nous pouvons nous dire ceci que, dans tous les pays en guerre, il y a des internés comme nous. Et il y a les soldats, ceux qui souffrent le plus de la guerre, qui font des sacrifices très lourds, quand ils ne font pas le sacrifice suprême, pour leur patrie, afin de défendre une cause qu’ils croient juste. Et qui risquent de devenir comme nous des prisonniers de guerre.