Page:Dumarsais - Œuvres, t6, 1797.djvu/36

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sont déterminés à agir sans sentir ni connoître les causes qui les font mouvoir, sans même songer qu’il y en ait.

Le philosophe, au contraire, démêle les causes autant qu’il est en lui, et souvent même les prévient, et se livre à elles avec connoissance : c’est une horloge qui se monte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer des sentimens qui ne conviennent ni au bien-être, ni à l’être raisonnable, et cherche ceux qui peuvent exciter en lui des affections convenables à l’état où il se trouve.

La raison est à l’égard du philosophe, ce que la grâce est à l’égard du chrétien, dans le système de Saint Augustin. La grâce détermine le chrétien à agir volontairement ; la raison détermine le philosophe sans lui ôter le goût du volontaire.

Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu’ils font soient précédées de la réflexion ; ce sont des hommes qui marchent dans les ténèbres, au lieu que le philosophe, dans ses passions même, n’agit qu’après la réflexion ; il marche la nuit, mais il est précédé d’un flambeau.

Le philosophe forme ses principes sur une infinité d’observations particulières ; le peuple adopte le principe sans penser aux observations qui l’ont produit : il croit que la maxime existe, pour ainsi dire, par elle-même ; mais le philosophe prend la maxime dès sa source ; il en examine l’origine, il en connoît la propre valeur, et n’en fait que l’usage qui lui convient.

De cette connoissance que les principes ne naissent que des observations particulières, le philosophe en conçoit de l’estime pour la