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Page:Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873.djvu/48

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perfection qu’ils ont atteint aujourd’hui, étaient supérieurs aux vins de la vieille Rome et de la nouvelle Italie.

Mais par bonheur, au milieu de cette dispersion des peuples, au milieu de cette inondation de barbares, les couvents étaient restés comme des lieux de refuge où s’étaient cachés les sciences, les arts et les traditions de la cuisine. Seulement la cuisine, de païenne qu’elle était, s’était faite chrétienne et avait subi sa division en gras et en maigre.

Ce luxe de table que nous trouvons dans les tableaux de Paul Véronèse, particulièrement dans celui des Noces de Cana, passa en France avec Catherine de Médicis, et alla toujours augmentant sous les règnes de François II, de Charles IX et de Henri III.

Le linge, surtout le beau linge, ne fit que très-tard son apparition en France. La propreté est le résultat et non le présage de la civilisation. Nos belles dames du XIIIe et du XIVe siècle, aux pieds desquelles s’agenouillèrent les Galaor, les Amadis et les Lancelot du Lac, il faut bien l’avouer, non-seulement n’avaient pas de chemises la plupart du temps, mais ne les connaissaient point. Les nappes, déjà employées du temps d’Auguste, avaient disparu, et n’étendirent sur nos tables leur blanche surface que vers le XIIIe siècle, et encore seulement chez les princes et chez les rois.

Alors s’établit en France un usage singulier, celui de couper la nappe devant ceux qu’on voulait défier ou à qui on voulait faire un reproche de bassesse ou de lâcheté.

Charles VI, le jour de l’Épiphanie, avait à sa table plusieurs convives illustres, parmi lesquels se trouvait Guillaume de Hainault, comte d’Ostrevant. Tout à coup un héraut vint trancher la nappe devant le comte, en lui disant qu’un prince qui ne portait pas d’armes n’était pas digne de manger à la table du roi.

Guillaume répondit que, comme les autres seigneurs, il portait l’écu, la lance et l’épée.

« Non, sire, reprit le héraut, cela est impossible ; car votre oncle a été tué par les Frisons, et jusqu’à ce jour cependant sa mort est restée impunie ; certes, si vous possédiez des armes, il y a longtemps qu’il serait vengé. »