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Page:Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873.djvu/532

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dindon.

avoir tué un de ces animaux qui pesait près de cinquante livres.

Quoique la chair du dindon, surtout froide, soit excellente, pleine de sapidité et préférable à celle du poulet, il y a des gourmets qui n’en mangent absolument que les sot-l’y-laisse étymologie : sot qui le laisse.

Un jour Grimod de la Reynière, oncle du célèbre comte d’Orsay, qui, pendant vingt ans a donné la mode à la France et à l’Angleterre, un jour Grimod de la Reynière étant, dans une tournée financière, surpris par la nuit ou par le mauvais temps, ou par un de ces obstacles insurmontables enfin qui forcent un épicurien à s’arrêter dans une auberge de village, demande à l’hôte ce qu’il peut lui donner pour souper.

Celui-ci lui avoue avec honte et regret que son garde-manger est complètement vide.

Un grand feu qui brille à travers les carreaux d’une porte vitrée, qui n’est autre que celle de la cuisine, attire les regards de l’illustre gourmand, qui voit avec étonnement sept dindes tournant à la même broche.

« Comment osez-vous me dire que vous n’avez rien à me donner à souper, exclame Grimod de la Reynière, quand je vois à la même broche sept magnifiques dindes, arrivées à leur degré de cuisson ?

— C’est vrai, monsieur, lui répondit l’hôte, mais elles sont retenues par un monsieur de Paris qui est arrivé avant vous.

— Et ce monsieur est seul ?

— Tout seul.

— Mais c’est donc un géant que ce voyageur ?

— Non, monsieur, il n’est guère plus grand que vous.

— Oh ! oh ! dites-moi le numéro de la chambre de ce gaillard-là, et je serai bien maladroit, s’il ne me cède pas une de ses sept dindes. »

Grimod de la Reynière se fait éclairer et conduire à la chambre du voyageur, qu’il trouve près d’une table dressée, assis devant un excellent feu et aiguisant l’un sur l’autre deux couteaux à découper.

« Et pardieu ! je ne me trompe pas, s’écrie Grimod de la Reynière, c’est vous, monsieur mon fils !