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trouveras une petite boîte de fer dont la clef est dans cette bourse ; tu pourras l’ouvrir pour t’assurer que ce sont des papiers et non pas de l’or. Puis, si demain, à l’heure de la rentrée du roi dans Paris, tu ne m’as pas revu sain et sauf ; si je ne t’ai pas dit, rends-moi cette botte et cette clef, tu les remettras toutes deux à Louis X, roi de France, et si je suis mort, tu m’auras vengé. Voilà tout : mon âme sera tranquille, et c’est à toi que je le devrai.

LANDRY.

Et je ne courrai pas d’autre risque ?

BURIDAN.

Pas d’autre.

LANDRY.

Vous pouvez compter sur moi.

BURIDAN.

Sur ton salut éternel, tu promets de faire ce que je t’ai dit ?

LANDRY.

Sur la part que j’espère dans le paradis, je le jure !

BURIDAN.

Maintenant, adieu, Landry. Sois honnête homme, si tu peux.

LANDRY.

Je ferai ce que je pourrai, mon capitaine ; mais c’est bien difficile.

(Il sort.)



Scène VIII


BURIDAN, seul.

Allons ! allons ! viennent le bourreau et la corde, la vengeance maintenant est assise au pied du gibet. La vengeance ! mot joyeux et sublime lorsqu’il est prononcé par une bouche vivante ; mot sonore et vide prononcé sur une tombe, et qui, si haut qu’il retentisse, ne réveille pas le cadavre endormi dans le tombeau !


Scène IX


BURIDAN, MARGUERITE, ORSINI.
MARGUERITE, entrant par une porte secrète,
tenant une lampe à la main, à Orsini.

Est-il lié de manière à ce que je puisse m’approcher de lui sans crainte ?

ORSINI.

Oui, madame.

MARGUERITE.

Eh bien ! attendez-moi là, Orsini ; et au moindre cri soyez à moi.

(Orsini sort.)
BURIDAN.

Une lumière ! Quelqu’un vient !

MARGUERITE, s’approchant.

Oui, quelqu’un ! Ne comptais-tu pas revoir quelqu’un avant de mourir ?

BURIDAN, riant.

Je l’espérais, mais je n’y comptais pas. Ah ! Marguerite, tu l’es dit : Il ne mourra pas sans que je jouisse de mon triomphe, sans qu’il sache que c’est bien moi qui le tue. Femme de toutes les voluptés, à moi, à moi celle-là ! Ah ! Marguerite, oui ! oui ! j’avais compté sur ta présence, tu as raison.

MARGUERITE.

Mais sans espoir, n’est-ce pas ? Tu me connais assez pour savoir qu’après m’avoir réduite à la crainte, abaissée à la prière, il n’y a ni crainte ni prières qui me fléchissent le cœur. Oh ! tes mesures étaient prises, Buridan ; seulement tu avais oublié que dès que l’amour, l’amour effréné entre dans le cœur d’un homme, il y ronge tous les autres sentiments, qu’il y vit aux dépens de l’honneur, de la foi du serment, et tu as été confier au serment, à la foi, à l’honneur d’un homme amoureux, amoureux de moi, la preuve, la seule preuve que tu eusses contre moi : tiens ! la voilà, cette page précieuse de tes tablettes, la voilà ! « Je meurs assassiné de la main de Marguerite. Philippe d’Aulnay. » Dernier adieu du frère au frère, et que le frère m’a remis. Tiens, tiens, regarde ! — (Prenant la lampe.) Meure avec cette dernière flamme ta dernière espérance ! Suis-je libre maintenant, Buridan ? Puis-je faire de toi ce que je voudrai ?

BURIDAN.

Qu’en feras-tu ?

MARGUERITE.

N’es-tu pas arrêté comme meurtrier de Philippe d’Aulnay ? que fait-on des meurtriers ?

BURIDAN.

Et quel tribunal me jugera sans m’entendre ?

MARGUERITE.

Un tribunal ! mais tu es fou : est-ce qu’on juge les hommes qui portent en eux de tels secrets ? Il y a des poisons si violents qu’ils brisent le vase qui les renferme. Ton secret est un de ces poisons. Buridan, quand un homme comme toi est arrêté, on le lie comme tu es lié, on le met dans un cachot pareil à celui-ci. Si l’on ne veut pas perdre et son âme et son corps à la fois, à minuit on fait entrer dans sa prison un prêtre et un bourreau ; le prêtre commence ; il y a dans cette prison un anneau de fer pareil à celui-ci, des murs aussi sourds et aussi