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SAINT-MÉGRIN.

Oh ! redis-le donc encore… redis-le ; car il y a bien du bonheur à l’entendre !…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Mais j’avais un motif pour vous le cacher… quel était-il donc ?… Ah ! ce n’était pas vous que je devais aimer… — (Se levant, et oubliant son mouchoir sur le sofa.) Sainte Mère de Dieu ! aurais-je dit que je vous aimais ?… — (Se levant avec effroi.) Malheureuse que je suis !… mon amour s’est réveillé avant ma raison.

SAINT-MÉGRIN.

N’écoute que ton cœur. Tu m’aimes !… tu m’aimes !

LA DUCHESSE DE GUISE.

Moi ! je n’ai pas dit cela, monsieur le comte, cela n’est pas : ne croyez pas que cela soit… c’était un songe… le sommeil… le… Mais comment se fait-il que je sois ici ?… Quelle est cette chambre ?… Marie… madame de Cossé… laissez-moi, M. de Saint-Mégrin, éloignez-vous…

SAINT-MÉGRIN.

Moi, m’éloigner !… et pourquoi ?…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Oh ! mon Dieu !… mon Dieu ! que m’arrive-t-il ?…

SAINT-MÉGRIN.

Madame, je me vois ici, je vous y trouve, je ne sais comment… il y a de l’enchantement, de la magie.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Je suis perdue !… moi, qui jusqu’à présent vous ai fui… moi, que déjà les soupçons de M. de Guise, mon seigneur et maître…

SAINT-MÉGRIN.

M. de Guise… mille damnations !… M. de Guise, votre seigneur et maître ! Oh ! puisse-t-il ne pas vous soupçonner à tort !… et que tout son sang… tout le mien…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Monsieur le comte, vous m’effrayez.

SAINT-MÉGRIN.

Pardon !… mais quand je pense que je pouvais vous connaître libre, être aimé de vous, devenir aussi votre seigneur et maître… Il me fait bien du mal, M. de Guise ; mais que mon bon ange m’abandonne au jour du jugement si je ne le lui rends pas…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Monsieur le comte !… Mais enfin… où suis-je ? dites-le-moi… aidez-moi à sortir d’ici, à me rendre à l’hôtel de Guise, et je vous pardonne tout…

SAINT-MÉGRIN.

Me pardonner, et quel est donc mon crime ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Je suis ici… et vous me le demandez !… Vous avez profité de son sommeil pour enlever une femme, qui vous est étrangère, qui ne peut vous aimer, qui ne vous aime pas, monsieur le comte…

SAINT-MÉGRIN.

Qui ne m’aime pas !… Ah ! madame, on n’aime pas comme j’aime, pour ne pas être aimé. J’en crois vos premières paroles, j’en crois…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Silence !

SAINT-MÉGRIN.

Ne craignez rien.

JOYEUSE, dans l’antichambre.

Vive Dieu !… nous sommes en sentinelle, et on ne passe pas…

D’ÉPERNON.

Regarde donc, Joyeuse… costume complet de ligueur… depuis les bottes jaunes jusqu’à la plume verte, rien n’y manque… et, s’il voulait seulement écarter ce manteau de serge, je suis sûr que la double croix de Lorraine…

LE DUC DE GUISE, derrière le théâtre.

Tête Dieu ! Messieurs, prenez garde, en croyant jouer avec un renard, d’éveiller un lion…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Sainte-Marie ! c’est la voix du duc de Guise !… Où fuir ? Où me cacher ?

SAINT-MÉGRIN, s’élançant vers la porte.

C’est le duc de Guise… Eh bien !…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Arrêtez, monsieur, au nom du ciel ! vous me perdez.

SAINT-MÉGRIN.

C’est vrai…

(Il court à la porte, passe entre les deux anneaux de fer
la barre qui sert de verrou.)
RUGGIERI, entrant et prenant la duchesse par la main.

Silence ! madame… Suivez-moi…

(Il ouvre la porte secrète : la duchesse de Guise s’y élance ;
Ruggieri la suit ; la porte se referme derrière eux.)
LE DUC DE GUISE, avec impatience.

Messieurs !…

D’ÉPERNON.

Ne trouves-tu pas qu’il a un petit accent lorrain tout à fait agréable ?…

SAINT-MÉGRIN, se retournant.

Maintenant, madame… nous pouvons… Eh bien ! où est-elle ?… disparue… par où ? comment ?… Tout cela ne serait-il pas l’œuvre du démon ? Oh ! ma tête ! ma tête !… Maintenant qu’il entre !

(Il ouvre la porte.)
LE DUC DE GUISE, entrant.

J’aurais dû deviner, par ceux de l’antichambre,