Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/601

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Car, malgré moi, j’éprouve une pitié profonde
Pour cet enfant du mal.
Or, le Seigneur ayant dit, en son indulgence,
Que, jusqu’à mon retour,
Il laisserait dormir le fer de sa vengeance
Aux mains de son amour,
Je voudrais demeurer loin de sa face austère ;
Car, pendant mon exil,
Peut-être dans la voie étroite et salutaire
Don Juan rentrera-t-il ?
Mais, comme vous savez qu’aux voûtes éternelles,
Malgré moi, tend mon vol,
Soufflez sur mon étoile et détachez mes ailes,
Pour m’enchaîner au sol.
En un être mortel changez mon divin être,
Et je vous bénirai ;
Car Dieu ne me verra devant lui reparaître
Qu’à l’heure où je mourrai.

LA VIERGE.

Ô pauvre ange immortel ! Qui, comme un Don, réclame
La faveur de mourir !
Ô pauvre cœur divin qui veut un corps de femme
Afin de mieux souffrir !
Mon fils, tu le sais, fait le même voyage ;
C’était un cœur puissant,
Et pourtant il mouilla mes mains et mon visage
D’une sueur de sang.
Le monde assemblera son tribunal sévère ;
On ne meurt qu’une fois ;
Mais la mort peut t’attendre au sommet d’un calvaire ?

LE BON ANGE.

J’y porterai ma croix.

LA VIERGE.

Mais alors qu’il faudra que la loi s’accomplisse,
Si, brisés par leurs corps,
Tes pieds ne peuvent plus te porter au supplice ?


LE BON ANGE.

J’irai sur mes genoux.

LA VIERGE.

C’est bien, voici venir au ciel une âme que la terre
Rend à l’éternité…
Allez et ranimez, sur son lit solitaire,
Le corps qu’elle a quitté.
Ce corps était celui d’une enfant chaste et belle,
Qui s’endormit priant,
Et qui, croyant rêver que sa mère l’appelle,
Est morte en souriant.
Nulle ne sait encore, au couvent du Rosaire,
Que sœur Marthe a vécu.
Allez, et vous aurez l’avenir de misère
Qu’elle-même aurait eu.
Allez, vous n’êtes plus rien qu’une pauvre femme,
Sans aucun souvenir du céleste séjour,
Ayant, pour tout soutien et tout trésor, dans l’âme :
L’espérance, la foi, la prière et l’amour.



ACTE III