Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/143

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et l’autre qui sourit au peuple, tu te seras peut-être, d’ici à demain, signé à toi-même un laissez-passer pour un monde dont nul ne revient.

Le prévôt se retourna frissonnant.

— Qui parle ainsi ? dit-il. — Moi, Marat. — Marat le philosophe ! Marat le médecin ! dit Billot. — Oui, répondit la même voix. — Oui, Marat le philosophe, Marat le médecin, dit Flesselles, lequel, en cette dernière qualité, devrait bien se charger de guérir les fous ; ce qui serait pour lui un moyen d’avoir aujourd’hui bon nombre de pratiques. — Monsieur de Flesselles, répondit le funèbre interlocuteur, ce brave citoyen vous demande un laissez-passer pour monsieur de Launay. Je vous ferai observer que non-seulement il vous attend, mais encore que trois mille hommes l’attendent. — C’est bien. Monsieur, il va l’avoir.

Flesselles s’approcha d’une table, passa une main sur son front, et de l’autre, saisissant la plume, il écrivit rapidement quelques lignes.

— Voici votre laissez-passer, dit-il en présentant le papier à Billot. — Lisez, dit Marat. — Je ne sais pas lire, dit Billot. — Eh bien ! donnez ; je lirai, moi.

Billot passa le papier à Marat.

Le laissez-passer était conçu en ces termes :

« Monsieur le gouverneur,

« Nous, prévôt des marchands de la ville de Paris, nous vous envoyons monsieur Billot, à l’effet de se concerter avec vous sur les intérêts de ladite ville.

« Le 14 juillet 1789.
« de Flesselles. »

— Bon ! dit Billot, donnez. — Vous trouvez ce laissez-passer bon ainsi ? dit Marat. — Sans doute. — Attendez ; monsieur le prévôt va y ajouter un post-scriptum qui le rendra meilleur.

Et il s’approcha de Flesselles qui était resté debout, le poing appuyé sur la table, et qui regardait d’un air dédaigneux, et les deux homme ? auxquels il avait particulièrement affaire, et un troisième à moitié nu qui venait d’apparaître debout à la porte, appuyé sur un mousqueton.

Ce troisième, c’était Pitou, qui avait suivi Billot, et qui se tenait prêt à obéir aux ordres du fermier, quels qu’ils fussent.

— Monsieur, dit Marat à Flesselles, ce post-scriptum, que vous allez ajouter et qui rendra le laissez-passer meilleur, le voici. — Dites, monsieur Marat.

Marat posa le papier sur la table, et indiquant du doigt la place où le prévôt devait tracer le post-scriptum demandé :