Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/278

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d’approchant. — Mais Sancho eût rendu le peuple de Barataria fort heureux, si Barataria eût existé. — Sire, votre aïeul Henri IV, que vous invoquez, prenait les loups aussi bien que les mouches : témoin le maréchal de Biron, à qui il a fait couper le cou. Il pouvait donc dire tout ce qui lui plaisait. En raisonnant comme lui et en agissant comme vous faites, vous ôtez tout prestige à la royauté, qui ne vit que de prestige ; vous dégradez le principe : que deviendra la majesté ? La majesté, c’est un mot, je le sais bien ; mais dans ce mot tendent toutes les vertus royales : qui respecte aime, qui aime obéit. — Ah ! parlons-en de la majesté, interrompit le roi avec un sourire ; oui, parlons-en. Vous, par exemple, vous êtes aussi majestueuse que qui que ce soit ; et je ne connais personne en Europe, pas même votre mère Marie-Thérèse, qui ait poussé aussi loin que vous la science de la majesté. — Je comprends ; vous voulez dire, n’est-ce pas, que la majesté n’empêche point que je sois abhorrée du peuple français ? — Je ne dis pas abhorrée, ma chère Antoinette, dit le roi avec douceur ; mais, enfin, vous n’êtes peut-être pas aussi aimée que vous méritez de l’être. — Monsieur, répliqua la reine profondément blessée, vous vous faites l’écho de tout ce qui se dit. Je n’ai fait de mal à personne cependant ; du bien, au contraire, souvent j’en ai fait. Pourquoi me haïrait-on comme vous dites ? Pourquoi ne m’aimerait-on pas ? si ce n’était qu’il y a des gens occupés toute la journée à répéter : La reine n’est pas aimée ! Savez-vous bien, Monsieur, qu’il suffit d’une voix qui dise cela pour que cent voix le répètent ; cent voix en font éclore dix mille. Alors, d’après ces dix mille voix, tout le monde répète : La reine n’est pas aimée ! Et l’on n’aime pas la reine, uniquement parce qu’une personne a dit : La reine n’est pas aimée ! — Eh mon Dieu ! murmura le roi. — Eh mon Dieu ! interrompit la reine, je tiens fort peu à la popularité ; mais je crois aussi qu’on exagère mon impopularité. Les louanges ne pleuvent pas sur moi, c’est vrai ; mais enfin on m’a adorée, et pour m’avoir trop adorée, voilà qu’il se trouve qu’on me hait trop. — Tenez, Madame, dit le roi, vous ne savez pas toute la vérité, et vous vous illusionnez encore ; nous parlions de la Bastille, n’est-ce pas ? — Oui. — Eh bien ! il y avait à la Bastille une grande chambre pleine de toutes sortes de livres écrits contre vous. Je suppose qu’on aura brûlé tout cela. — Et que me reprochait-on dans ces livres ? — Ah ! vous comprenez bien, Madame, que je ne me fais pas plus votre accusateur que je ne voudrais faire votre juge. Quand tous ces pamphlets-là paraissent, je fais saisir toute l’édition et engouffrer le tout à la Bastille ; mais quelquefois ces libelles me tombent à moi-même dans les mains. Ainsi, par exemple, dit le roi en frappant sur la poche de son habit, j’en ai un là, il est abominable. — Montrez-le-moi, s’écria la