Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/34

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qu’il existât au monde une éducation assez négligée pour ne pas savoir ce que c’était que la marette.

— La marette ? dit-il, parbleu ! c’est la marette. — Oui : mais moi, monsieur le drôle, je ne sais pas ce que c’est que la marette. Comme Pitou était plein de miséricorde pour toutes les ignorances :

— La marette, dit-il, c’est une petite mare : il y en a comme cela une trentaine dans la forêt ; on met des gluaux tout autour, et quand les oiseaux viennent pour boire, comme ils ne connaissent pas cela, les imbéciles ! ils se prennent. — À quoi ? — À la glu. — Ah ! ah ! dit la tante Angélique, je comprends ; mais qui t’a donné de l’argent ? — De l’argent ! dit Pitou étonné que l’on ait pu croire qu’il eût jamais possédé un denier ; de l’argent, tante Angélique ? — Oui. — Personne. — Mais avec quoi as-tu acheté de la glu, alors ? — Je l’ai faite moi-même, la glu. — Et les gluaux ? — Aussi, donc. — Ainsi, ces oiseaux… — Eh bien ! tante ? — Ils ne te coûtent rien ? — La peine de me baisser et de les prendre. — Et peut-on y aller souvent, à la marette ? — On peut y aller tous les jours. — Bon. — Seulement, il ne faut pas… — Il ne faut pas… quoi ? — Y aller tous les jours. — Et la raison ? — Tiens ! parce que cela ruine. — Cela ruine qui ? — La marette, donc. Vous comprenez, tante Angélique, les oiseaux que l’on a pris… — Eh bien ? — Eh bien ! ils n’y sont plus. — C’est juste, dit la tante.

Pour la première fois depuis qu’il était auprès d’elle, la tante Angélique donnait raison à son neveu ; aussi cette approbation inouïe ravit-elle Pitou.

— Mais, dit-il, les jours où l’on ne va pas à la marette, on va ailleurs. Les jours où l’on ne prend pas des oiseaux, l’on prend autre chose. — Et que prend-on ? — Tiens ! on prend des lapins. — Des lapins ? — Oui. On mange la viande et l’on vend la peau. Cela vaut deux sous, une peau de lapin.

La tante Angélique regarda son neveu avec des yeux émerveillés ; elle n’avait jamais vu en lui un si grand économiste. Pitou venait de se révéler.

— Mais c’est moi qui vendrai les peaux de lapin ? — Sans doute, répondit Pitou, comme faisait maman Madeleine.

Il n’était jamais venu à l’idée de l’enfant que du produit de sa chasse il pût réclamer autre chose que sa part de consommation.

— Et quand iras-tu prendre des lapins ? demanda mademoiselle Angélique. — Ah dam ! quand j’aurai des collets, répondit Pitou. — Eh bien ! fais-en, des collets.

Pitou secoua la tête.

— Tu as bien fait de la glu et des gluaux. — Ah ! je sais faire de la